Faire volte-face ? Déjà il s’élançait vers elle. À certains instants de sa vie il était déjà arrivé qu’il se voie de l’extérieur, comme le spectateur d’un film dont il était en même temps l’acteur. Et c’est ce qui se produisait maintenant. Il s’élançait avec ce sac à dos qui sautillait à chacun de ses pas et composait une musique de cliquetis, tambourinements et crépitations cadencés. Quoiqu’il ne quittât pas des yeux la femme du carrefour, il franchissait d’un bond toutes les flaques et évitait les blocs rocheux qui indiquaient la fin et le commencement de la Voie Ancienne et en interdisaient censément l’accès aux voitures de la Voie Nouvelle (…)
Et elle ? Elle voyait dans cet élan vers elle sa façon à lui de la saluer. Dans un instant ils se retrouveraient, et pour toujours, sans qu’une seule parole fut nécessaire, pour le moment en tout cas, puis longtemps encore, peut-être plus jamais. Il suffirait d’une parole, quelle qu’elle soit, même la plus délicate de toutes, et ce rêve matinal qui, aussi longtemps qu’ils se retrouveraient en silence, était plus réel que n’importe quelle réalité, serait troublé, non, détruit.

La nuit morave