Je voudrais bien vivre comme les lys des champs. Si l’on comprenait bien cette époque, elle pourrait nous apprendre à vivre comme un lys des champs. J’ai écrit un jour dans un de mes cahiers : je voudrais suivre du bout des doigts les contours de notre temps. J’étais assise à mon bureau et je savais comment approcher la vie (…) C’est à ce bureau que j’ai appris à rejoindre la vie que je portais en moi. Puis j’ai été jetée sans transition dans un foyer de souffrance humaine, sur l’un des nombreux petits fronts ouverts à travers toute l’Europe. Et là, j’ai fait soudain l’expérience suivante : en déchiffrant les visages, en déchiffrant des milliers de gestes, de petites phrases, de récits, je me suis mise à lire le message de notre époque – et un message qui en même temps le dépasse. Ayant appris à lire en moi-même, je me suis avisée que je pouvais lire aussi dans les autres. Là-bas j’ai vraiment eu l’impression de suivre à tâtons, d’un doigt sensible aux aspérités, les contours de ce temps et de cette vie. Comment se fait-il que ce petit bout de lande enclos de barbelés, traversé de destinées et de souffrances humaines qui viennent s’y échouer en vagues successives, ait laissé dans ma mémoire une image presque suave ? Comment se fait-il que mon esprit, loin de s’y assombrir, y ait été comme éclairé et illuminé ? (…) À ce bureau, au milieu de mes écrivains, de mes poètes et de mes fleurs, j’ai tant aimé la vie. Et là-bas, au milieu de baraques peuplées de gens traqués et persécutés, j’ai trouvé la confirmation de mon amour de cette vie.
Journal
aunryz
Rassurant
de voir
que dans le même temps où je perds les mots
et la capacité de déchiffrer leurs courbes
d’autres acquièrent
celle
bien plus précieuse
de déchiffrer les signes de vie
et son murmure.