en 1970, je connus Alejandro Jodorowsky, qui était pour moi l’incarnation de l’artiste prestigieux. J’allai le chercher à la sortie d’un théâtre (il dirigeait une version de Zarathoustra, avec Isela Vega), je lui dis que je voulais qu’il m’apprenne à réaliser des films et à partir de ce moment-là je lui rendis assidûment visite chez lui. Je crois que je ne fus pas un bon élève. Jodorowsky me demanda combien je dépensais en cigarettes chaque semaine. Je lui dis que ça faisait pas mal d’argent, parce que j’ai toujours fumé comme un pompier. Jodorowsky me dit d’arrêter de fumer et qu’avec cet argent je me paye des leçons de méditation zen avec Ejo Takata. D’accord dis-je. Je passai quelques journées avec Ejo Takata, mais à la troisième séance je décidai que ce n’était pas fait pour moi. J’abandonnai Ejo Takata en pleine séance de méditation. Quand je voulus quitter ma place le japonais se jeta sur moi en brandissant un bâton, le même avec lequel il frappait les élèves qui le demandaient. C’est-à-dire, Ejo offrait le bâton, les disciples disaient oui ou non, et si la réponse était affirmative Ejo leur assénait des coups, avec le plat du bâton, qui faisaient retentir l’espace dans la pénombre imprégnée d’encens. A moi, cependant, il n’offrit pas le choix de refuser les coups. Son attaque fut foudroyante et assourdissante. J’étais à côté d’une jeune fille, près de la porte, et Ejo était au fond de la pièce. Je supposai qu’il avait les yeux fermés et crus qu’il n’allait pas m’entendre partir. Mais ce satané japonais m’entendit et se jeta sur moi en hurlant l’équivalent zen de banzaï. Mon père a été champion de boxe amateur dans la catégorie des poids lourds (…) Je n’ai jamais aimé boxer, mais j’ai appris enfant. Quand le maître Ejo Takata se jeta sur moi en hurlant, il est probable qu’il ne voulait pas me faire de mal, et qu’il ne s’attendait pas à ce que je me défende. Mais moi je voulais seulement foutre le camp de là une bonne fois pour toutes. Si tu crois qu’on t’attaque, tu te défends, c’est là une loi naturelle, surtout à 17 ans.
Ejo Takata était nérudien dans l’ingénuité.
Philippe
Belle mésaventure ! Je ne connaissais pas ce texte de Bolaño. C’est tiré d’où ?
Merci pour le partage…
admin
bonjour Philippe, l’extrait est tiré du petit recueil « Des putains meurtrières » (Christian Bourgeois)
voilà…
Belle journée (très belle photo du chat ce matin)
Philippe
Merci… (désolé de répondre si tardivement).