Quel est le scandale de Picasso ? Sa solitude. Tout le monde s’est efforcé, et s’efforce encore, de la nier, de la minimiser. Le spectacle fait son travail de dénégation, mais Picasso a su s’en servir. « C’est le succès, dans ma jeunesse, qui est devenu mon mur de protection », dit-il à Brassaï. Brassaï, alors, lui cite Nietzsche : « La meilleure cachette est une gloire précoce ». Et Picasso : « Tout à fait juste. C’est à l’abri de mon succès que j’ai pu faire ce que je voulais. »
Il veut parler, bien entendu, des époques d’autrefois, bleue ou rose, celles qui ont précédé le saut dans l’inconnu dont ne ne dira jamais à quel point il était risqué. Mais il faut aussi entendre, n’en doutons pas, une déclaration de désinformation constante par rapport à la société. C’est une stratégie, elle mériterait une étude à part.
Quoi qu’il en soit, Gertrude Stein a senti l’essentiel : « Il renouvela sa vision qui était celle des choses comme il les voyait. On ne doit jamais oublier que la réalité du XXe siècle n’est pas celle du XIXe. Pas du tout. Et Picasso était le seul à le sentir en peinture. Absolument le seul. De plus en plus, sa lutte pour l’exprimer s’intensifia. Matisse et tous les autres voyaient le XXe siècle avec leurs yeux, mais ils voyaient la réalité du XIXe siècle. Picasso était le seul qui voyait le XXe siècle avec ses yeux et voyait sa réalité, et en conséquence sa lutte était terrifiante, terrifiante pour lui-même et pour les autres, parce qu’il n’avait rien pour l’aider, le passé ne l’aidait pas, le présent non plus, et il devait faire cela tout seul. »
Gertrude Stein écrit ces phrases en 1934. Six ans plus tard, elle admire Pétain au point même de vouloir traduire ses discours. Le malentendu était donc total. Gertrude trouvait que Picasso avait un défaut très grave : sa sexualité. Une sexualité « dirty », pensait-elle. De son point de vue, elle n’avait pas tort. C’est d’ailleurs ce qui l’a empêché de prendre Joyce au sérieux.
Picasso, le héros
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