cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : juillet 2020

Variation


Je sens que j’ai envie de prendre un risque avec ce texte pratiquement terminé sur le récit de ma dernière petite histoire de coeur. Elle est loin d’être banale cette histoire, mais je reste dans l’insatisfaction de mon écriture. Je me sens à l’étroit dans le cadre que je me suis imposé, le récit.
— Je veux de la vie ! Du fantasme !
Sans fantasme aucun amour ne tient, écrit Anne Dufourmantelle.
Qu-‘est-ce qu’une variation ? C’est un art et c’est un risque, écrit-elle encore.
Lorsque j’ai lu ces mots ce matin ce fut une évidence. J’ai compris où pêchait mon insatisfaction.
Peut-être aussi parce que ce sparadrap dont je ne voulais pas me détacher, ma petite histoire, s’est-il finalement détaché de lui-même, tout en douceur, ce sparadrap, m’offrant la liberté, l’air de rien. Ne plus obéir à l’injonction d’être dans ce foutu récit, être dans le plaisir de fantasmer à l’envi avec l’écriture.

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Les mails oubliés

Ça sert de classer sa pile de papiers divers. Tenter de retrouver une foutue réponse d’une quelconque Société que vous ne retrouverez pas d’ailleurs dans cette pile-là, mais vous tomberez sur bien mieux. Un rappel. Des mails imprimés de Clem, oubliés là ceux-là. Me rends compte que j’ai peu écrit sur Clem. Imaginez, en un an et demi, nous avons échangé plus de 4000 vraies lettres manuscrites, messages, cartes postales Rive Droite/Rive Gauche…
4000… L’écriture, ce fut son truc à Clem. Le Journalisme en majuscule. New York sa ville, même si professionnellement il la quitta à regret pour Boston, le prestigieux Boston Globe. La langue française, son autre amour. Il ne vous parlait pas de Molière, non, lui, il citait Jean-Baptiste Poquelin, pareil pour François-Marie Arouet. Voltaire n’a jamais eu de meilleur ami.
Clem, je dirai que c’est d’abord un visage. Une voix. Une présence. Le tout embué du charme que donne le côté sexy involontaire. Un rire, un rire qui vous transportait immédiatement dans ses délires. Que j’ai pu rire avec lui.
Des mains larges, un peu épaisses, qui, vous caressant, vous rendaient folle par leur agilité, leur connaissance insensée de votre corps.
Clem c’est un homme pour qui la prière est essentielle. Il faut prier chaque jour me disait-il. Un homme désespéré depuis plus de vingt ans. Un homme qui s’est perdu dans l’alcool et le blues.
Je t’aime, Où es-tu ?
L’attendant avec les amis pour la fête d’anniversaire, je lui ai envoyé ces derniers mots. Je savais que je n’aurai pas de réponse. J’ai senti le vent de sa mort traverser le blouson à paillettes que je portais ce soir-là, ce ridicule blouson à paillettes que je voulais alors m’arracher, envoyer paître.
Je t’aime de mon âme. Ses mots.

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Piédestal

Pourquoi fuis-tu dès qu’un amoureux te met sur un piédestal ?
Et pourquoi, toi, les mets-tu tous sur un piédestal ? Urli, Clem, je comprends, mais les autres, le dernier….
Et voilà Catherine qui me pose une nouvelle colle.
Est-ce que je fuis vraiment ? Je ne le pense pas. Quant à savoir pourquoi il m’arrive d’agir ainsi… Manque de confiance en soi, probablement…
Mais pas que..
Par paresse. Suis sûre que c’est par paresse.
Parce que ceux que je fuis, je n’en suis pas vraiment amoureuse au fond.
Alors, paresse.
Logique…
Quant à savoir pourquoi je les mets tous sur un piédestal les amoureux que j’aime vraiment, c’est dans l’ordre des choses je crois, justement parce que je suis lucide sur eux. Parce que je suis épatée qu’ils m’aient choisie. Parce que la vie peut être belle. Parce que le fait d’être bien est épatant. Parce qu’être surprise par quelqu’un est absolument prodigieux et doux et fort à la fois.
Alors oui, ils m’épatèrent, m’épatent, m’épateront.
Nombre d’écrivains sont inspirés par La dernière femme.
Je me dois de rectifier le futur de mon verbe.
Il m’épatera.
Pensez !!! Le « dernier homme »…
IL m’épatera.

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Un samedi matin

C’est un samedi matin. J’entends dans la cour couler l’eau dans le lourd arrosoir de Carmina qui va arroser les plantes dans les gros pots. Je les aime ces plantes. Des résistantes… Carmina, un moment, rit avec une amie. Je ne comprends pas le portugais mais, les entendre ces deux-là, est d’une gaieté toute simple. Elles sont extrêmement sympathiques. Des femmes fortes. Carmina ne voit son mari que le week-end, en semaine il travaille hors les murs de la ville. Ça me semble dur, qui ai-je dit un jour. Non, ça va. Me répondit-t-elle. On a à se dire quand il revient. C’est elle qui sort Erri lorsque je dois aller là ou là. — L’enfant de l’appartement du dessus grandit, ses pas sont plus longs, moins hésitants. Il prend confiance. Et pleurniche toujours autant si on lui dit non pour je ne sais quelle raison. Sa mère, une napolitaine gentille et explosive, le père, un mystère. Leurs disputes, tonitruantes. Elle, exaspérée, lui, calme, froid. Un jour, lui ai dit, à elle, Arrêtez de vous disputer, la vie est surprenante, tout peut s’arrêter d’un coup, d’un claquement de doigts, et lui ai caressé une joue. Depuis, ils se sont calmés. Tant mieux pour l’enfant. — La voisine de palier n’est toujours pas revenue de sa province. J’ai de l’admiration pour elle. Son parcours. Sa culture. Sa gentillesse. Son humour. Avec son mari elle a parcouru le monde, le parcourt encore. J’adore prendre un verre avec eux sur leur petit balcon. Ils m’aiment bien, me conseillent. M’éclairent. J’écarte mes oeillères avec eux. Je savais pas qu’elles revenaient à répétition ces foutues oeillères. — Un jardinier du samedi matin ratisse le gravier dans un des petits jardins des maisons en bas de l’immeuble, de l’autre côté de la cour. Je pense à d’Ormesson à chaque fois que j’entends ce bruit qui m’apaise sans raison.
Mais, ce qui me rend bien ce samedi matin de juillet, c’est sentir cette foutue envie d’écrire mes bidules qui revient. Ce picotement au bout des doigts. Ce plaisir.


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Un clou chasse l’autre

Quelques amies eurent cette formule magique lorsque j’eus mon petit chagrin.
Un clou chasse l’autre…
Froideur du métal.
Je récusais l’idée pour le fond plus que pour la forme. Il n’y a pas de petites pilules contre le chagrin. Et puis le temps s’écoula, comme il sait faire. Le chagrin devint peine. La peine, à rester, devint stupidité. Je m’en inquiète pas plus que ça. Elle est présente dans ma vie depuis pas mal de temps, la stupidité, être si naïve, si … etc… etc…
Alors peut-être, essayer un petit voyage. Reprendre le goût des découvertes. Ce qui fut fait. Et fut parfait. Les appréhensions du voyage effacées par les plaisirs, puis par Le Plaisir…
Il fallut bien rentrer.
Il faut toujours rentrer un moment ou un autre.
Un clou chasse l’autre. Que dalle !
Aucune rudesse dans ce que dalle ! Une évidence. Une douceur.
Suis enchantée que l’indifférence ne vienne pas.
Que l’orgueil oublie ce fameux Un clou chasse l’autre.
Que la peine devienne tendresse.

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