Pourquoi je pense à Alicja ce matin ? Peut-être parce que c’est le dernier jour de l’été ; elle qui aimait tant le soleil, la chaleur. Peut-être parce qu’elle me manque. Alicja fut une grande restauratrice de tableaux. Sa vie de polonaise ne fut que voyages, rencontres, discussions, amitiés, pleurs, rires, et travail. Le calme plat, elle ignorait même l’idée. Elle s’est mariée avec un vicomte mon Alicja. Un homme adorable, érudit, qui, en vieillissant, ressemble comme deux gouttes d’eau à Napoléon III. Pour lui elle quitta sa Pologne. On peut exercer son métier partout si on est bon. Elle fut aussi recherchée comme historienne en art du costume. Montrez-lui un bout de tissu, elle ne peut s’empêcher de le toucher, de le respirer, d’en chercher la provenance. Elle a prouvé que bien des tableaux étaient des faux avec cette connaissance historique du vêtement.
Mais le clou, chez Alicja, c’est la gourmande ! Elle ne peut envisager un repas sans dessert… Panna cotta, mots magiques pour elle. Gin Tonic !
Elle adorait Urli. Elle m’a prise sous son aile. Ne m’a jamais lâchée. Dès qu’elle entrait à la maison, elle se précipitait vers la cuisine où se trouve SON cendrier marocain, allumait une de ses fines cigarettes, ouvrait une fenêtre, si toutes étaient fermées, aspirait la fumée, un temps, l’expirait. Et, enfin seulement, arrivait le chantant : Alors, dis-moi, comment vas-tu ?
La dernière fois que je l’ai embrassée, c’était justement l’été, voici deux années. Elle m’attendait avec son mari à la terrasse d’un café devant le grand hôpital où pour la troisième fois elle devait se faire opérer d’un cancer improbable, qu’on ne peut traiter par chimio. Je déteste parler d’elle à l’imparfait ! Je déteste ce temps grammatical qui ne lui va pas. Elle porte ce jour-là une robe très glamour, des années 50, sans manches, en coton blanc cassé avec de larges marguerites imprimées.
Elle irradie.
*