cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : décembre 2020

Puissance

C’est très étrange, puissant, dirai-je plutôt, quand vous vous entendez chantonner de nouveau, comme ça d’un coup, que vous vous surprenez à siffloter un p’tit air. À l’envi des p’tites chansons françaises telles Caravane, Au fur et à mesure, les Rita, Téléphone, j’ignore tout de ce qui se chante actuellement… Faudrait quand même que je m’informe.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Non, pas le Temps, comme on dit…
Des massages énergétiques, Les massages énergétiques de Siav.
C’est Catherine qui m’a donné ses coordonnées, il y a peu, le jour où j’ai renoncé à venir la voir tant j’étais épuisée, lasse. Siav est Vietnamienne, mais très parisienne de style. Elle arrive chez vous avec sa table de massage, son programme de Feedback, son énergie et sa gaieté communicative. Siav a trois enfants, dont une fille d’une quinzaine d’années qui souffre d’autisme. Elle a appris le Feedback dont on lui a dit les bienfaits pour lutter justement contre cet autisme. Et ça fonctionne. Alors Siav apprend, apprend…
Je ne connaissais que les massages des salons d’esthétique, tel Guerlain ou la cabine du petit salon au coin de la rue. Rien, mais rien à voir.
Pour un premier rendez-vous, Siav se donne une heure de plus pour vous écouter. Apprendre à vous connaître. Puis enfin, elle ouvre sa table. Etale ses douces couvertures, vous enveloppe avec. Elle vous met au chaud…
Pendant une heure et demi, Siav massera longuement les pieds, longuement, pour remonter lentement le long du corps, s’attardant sur le ventre, massant le cou, les épaules. Elle doit être épuisée à la fin d’une séance. Très vite, elle ne peut s’attarder, très demandée, elle doit partir. Alors Siav replie sa table, prend un verre d’eau, tout en parlant, souriant. Tu verras Anna, au bout de 4 séances, tu vas retrouver toute ta vitalité. J’en fais mon affaire.
Un amour de nana.

*

L’appel du Sud

Joss me téléphona en cette fin de matinée depuis le Sud. Elle réside désormais dans cette maison de retraite de haut niveau. L’ennui, l’isolement dans un établissement cinq étoiles à 15 kilomètres d’Aix. Victime d’un AVC elle qui fut voyageuse ne peut se déplacer qu’avec l’aide d’un déambulateur. Aller en ville sans assistance ni taxi.
Petite, mince, très classe, toujours élégamment vêtue, moderne, très moderne, cheveux courts au carré impeccable, les ongles toujours peints d’un bleu soutenu. Joss fit mille métiers, celui qui l’amusa le plus fut à Europe 1 où elle s’occupait de la publicité je crois. Elle fut virée avec l’arrivée de Mitterrand en 1981. J’ai jamais vu le rapport.
Joss était ma voisine de dessus à Paris. Juive athée, elle aime l’hébreu plus qu’Erri de Luca je crois. Elle me parlait toujours de ses études hébraïques. Elle a d’ailleurs écrit deux livres, le dernier, non édité, pour ses deux fils et ses petits enfants, sur les fêtes juives. Elle me faisait lire ses pages. Joss, pourquoi ne faites-vous pas confiance à vos lecteurs, pourquoi rajouter de la sauce ? Arrêtez vos répétitions. On se perd. Elle opinait mais n’en faisait qu’à sa tête.
Son mari, qui la suivit dans le Sud, est mort voici 5 mois. Je vous comprends enfin Anna. Je connais maintenant cette absence.
Pourquoi est-ce que j’écris ce billet ? Parce que Joss, d’un ton banal, comme le récit d’une rencontre au marché du coin, m’explique son suicide raté. Les petits cachets n’ayant pas réussi, elle opte pour les grands moyens. Avec son déambulateur, elle va à la salle de bain, pense ramener l’escabeau qui s’y trouve pour arriver avec beaucoup de difficulté et de lenteur jusqu’à la fenêtre de la chambre. Pousser l’escabeau avec le déambulateur traverser la chambre lui demande un effort inouï. Parvenir à mettre l’escabeau sur le balcon n’est pas chose aisée non plus. Maintenant, il lui faut lâcher le déambulateur, s’agripper à l’escabeau, monter une marche en s’accrochant à la dernière, la seconde, plus difficile, il va devoir se plier, et enfin la troisième marche. Elle sera au niveau du rebord du balcon. Il n’y a plus qu’à se laisser glisser de l’autre côté, tomber enfin de ce 3e étage où elle ne veut plus vivre. Sans pathos.
Une force en elle qui ne peut que la faire réussir, comme toujours.
Sa détermination cette fois la lâcha, la sauva du vide.
Sans l’appui du déambulateur, elle ne put se hisser sur l’escabeau.
J’ai failli pleurer.

*



Rosine

Je l’ai quittée l’amie, comme je l’avais appelée, elle, sans la connaître vraiment, un de ces jours terribles où la vie bascule. Par instinct. Je savais qu’elle m’aiderait. Rosine, un prénom qui chante. Une vraie femme, comme on dit, une scorpionne. Née à Marseille, le Sud en rajoute au caractère déjà bien trempé. Son mari Marc, aussi placide que sa femme est explosive, sait incroyablement faire le dos rond, s’isoler mentalement lorsque les foudres arrivent. Il la connaît bien sa Rosine. Nous fûmes deux soeurs, on peut le dire.
Je raconte.
Nous étions alors antiquaires. Enfin, Urli était antiquaire, moi pas du tout. Je ne suis pas à l’aise à parler d’argent, vendre. Même enfant, je n’aimais pas jouer à la marchande avec les gamines du coin. Et puis, cette foutue méconnaissance du métier me tétanisait. Lui Urli s’est jeté là-dedans et s’y est trouvé bien. Très vite il devint copain avec tous les marchands de la rue et des alentours. Je restais dans mon silence. Mais, il y avait Marc et Rosine, grands marchands d’une rue de ce Carré Rive Gauche, leur boutique sentait bon. J’en aimais les lumières avec lesquelles Rosine jouait, l’harmonie qu’elle savait mettre dans le lieu. Je m’y sentais bien, à l’aise. Je m’installais dans un fauteuil, et les écoutais. Rosine était la vendeuse hors-pair. Marc, le chineur éclairé. Il prit Urli sous son aile (ces expressions désuettes que j’aime…), il lui apprit tout un tas de trucs. J’écoutais. J’écoutais. N’apprenais pas vraiment. Parlais toujours aussi peu. Nous déjeunions, dînions ensemble. C’est ainsi que ce 19 novembre de cette année-là, quand Urli dût aller aux Urgences, hospitalisé, je fus perdue. Instinctivement, je l’ai appelée, elle, que je connaissais si peu. Avec Marc, ils ne me lâchèrent pas, jusqu’à la fin. L’amitié s’installa. Les rires. Les éclats de rire pour un rien, un détail, nous étions raccord. Les repas. Tant de repas. Souvent je mettais la table : Rosine, on est combien à midi ? Rosine, on est combien ce soir ? 24 ?… Les voyages avec eux. Leur installation dans le Sud, cette maison qu’elle arrangea de façon divine et facile. Les discussions sans fin avec elle sur n’importe quoi. La foi, la liberté, ou des banalités. Bref… Leur meilleur copain américain est arrivé un jour à Paris. Clem. Sans savoir que c’était lui, le coup de foudre dans la rue juste avant le repas dans une brasserie aux nappes blanches de la rue de Lille. Tout ce que j’aime dans la Providence. Tout ce que j’aime. Les déjeuners les dîners à quatre. Les fâcheries de gamine avec Clem pour pas grand chose, Rosine encore m’apaisait. La mort de Clem. Le désarroi. Encore Rosine. Toujours Rosine. Pourquoi me lança-t-elle un jour une pique féroce sur Clem et moi. Comme je pensais qu’elle avait toujours raison, je ne réagis pas. Et le temps joua sa partition. Jusqu’à cet été de l’année passée où elle me dit encore une méchanceté incompréhensible. Tout remonta alors de ce qu’elle avait dit avant sur Clem et notre histoire. Pas de surexcitation. Pas de colère. C’est dans un état de calme, d’évidence, qu’instinctivement je sus ce jour-là qu’il me fallait ne plus la revoir jamais. Marc tenta inutilement une tractation.
C’est ta soeur !
J’ai ici, dans cet appartement un splendide tableau d’elle, un chemin, assez abstrait, dans le bureau une délicate aquarelle d’anémones sur un papier foncé, une autre de leur jardin aux lavandes, et dans le salon, deux dessins qu’elle fit, pour mon anniversaire, un bouquet, si fin, de fleurs sauvages dont elle connaissait mon amour pour elles, et un autre de silhouettes d’arbres en automne. Toujours je les regarde sans nostalgie, avec plaisir. Ils sont beaux.

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