L’heure du déjeuner. Peu de monde encore lorsque j’entre dans le petit restaurant italien au deuxième étage du fameux magasin. L’accueil est toujours gentil. Les yeux, au moins on les voit sourire. J’évite les places centrales même s’il y a le confort des sièges en cuir. À droite, près des baies vitrées, il y a encore ces travaux qui gênent la vue, alors je vais vers la gauche, le long du mur, entre l’entrée et la sortie. De petites tables pour déjeuner seul ou en duo.
Casarecce. Vin rouge, de Sicile cette fois.
Arrive alors un homme mince, taille moyenne, élégamment vêtu d’un costume gris. On le place à la table devant moi. À l’évidence c’est un habitué, je vois ça à la façon dont il parle en passant sa commande. Je l’observe. Il est face à moi. D’Urli, qui aimait les chaussures impeccablement cirées, j’ai gardé ce goût. Les siennes, noires, sont nickel. Le petit mouchoir blanc en pochette dépasse juste ce qu’il faut.
L’homme sort alors un livre de poche. Neuf. Epais. J’ai toujours aimé les gros livres de poche, ils me font penser aux vacances, allez savoir pourquoi.
Je ne peux pas voir le titre.
Discrètement je fais une photo. Un lecteur.
Arrive son plat. L’homme, en habitué des lectures à table, cale l’épaisseur droite du livre sous le rebord de l’assiette et il lit tout en faisant tourner sa fourchette autour des pâtes du jour qu’il mange lentement.
Pas une tache sur les pages du livre.
À un moment, nos regards se croisent. J’en profite. Je lui parle. J’ai jamais su lire à table, en mangeant. Je n’y arrive pas. C’est vrai, la concentration me manque. L’homme sourit.
Que lisez-vous ?
L’homme me montre la couverture du poche. Mes mains se croisent sur la poitrine, en prière.
Flaubert. Voyage en Orient.
Immédiatement je pense à Catherine Vigourt.
Avez-vous lu le Flaubert de ma copine Catherine Vigourt ?
Mais oui, j’ai lu Catherine Vigourt ! Epatant !
— C’est un des trésors de Twitter vous savez !
— Vous êtes Anna ! dit-il alors simplement avec un grand sourire,
Je vous suis et lis vos petits billets !

Comment dire ? Je me suis sentie comme dans une partie de cache-cache.
Une gamine étouffant ses rires de ses deux poings à la bouche, se cachant derrière une immense armoire qui sent bon la cire, dans une maison, quelque part à la campagne, un jour d’été.

*