cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : décembre 2022

La fantaisie

Je voudrais qu’elle décide de s’agripper à moi, de ne me lâcher jamais plus, la fantaisie, la merveilleuse fantaisie. Pas celle du boucan, des éclats, des rires de façade, du remue-ménage, du systématique, du genre bouger pour bouger, faire pour faire.
Non, celle qui fait que le sang bouillonne, que le silence devient révélateur de mots, de sensations inédites, d’audaces. L’audace et la fantaisie vont de pair me semble-t-il, peut-être je me trompe.
Sollers, comme souvent, me donne la réponse, la méthode.
« La fantaisie et la liberté d’imagination ne s’acquièrent pas comme ça, qu’il y faut du temps, de l’obstination, de la sévérité, de la rigueur, des mathématiques, de la raison. »

C’est décidé : je m’obstine.

*

Le calme

Sans effervescence, il y a ce calme qui envahit tout, à son rythme ; il prend le temps. L’intérieur de votre corps, poussant même l’idée jusqu’à s’étaler dans votre environnement du moment. D’évidence, il semble se sentir bien, là, avec vous — Merci du retour ! lui lancez-vous — Ce moment vous donne une force que vous ne demandiez pas, n’attendiez pas. — et vous pousse même à reprendre illico un ou deux de ces petits textes anciens, pour les corriger. Les préparer. — Concentration.
Vous ne vous laissez pas dissiper.
N’oubliez pas de sortir Erri, le caresser, lui parler.
Encore un café.
Et là, seulement là, ouvrant le 34ème carnet, vous écrivez enfin le récit.
Vous allez oublier de dîner.
Vous laissez infuser la rencontre du jour.

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Grâce matinale

Je l’ai pressentie en revenant de la promenade d’Erri. Malgré la pluie, pas très virulente faut bien le dire, cette douceur de l’air, les lumières étaient toutes jolies. Les couleurs ravivées par je ne sais quoi. Et, en rentrant, une sensation, très nette par contre. Une grâce matinale. Un coeur au calme, gai, réceptif.
— La maison est propre. Junior, hier, a fait tout ce que je n’arrive pas à bien réaliser, la poussière sur les livres anciens posés sur la console au-dessus du secrétaire vénitien, par exemple. Les tomettes sont bien plus vivantes. Les nocturnes de Chopin, à l’oeuvre. Les renoncules roses de Stanislas pètent le feu… tant mieux. — J’ouvre Twitter. Envoie la photo du quai sous la pluie. Me fais un café. Erri s’est déjà rendormi.
— Beethoven. Triple concerto. Cette envolée du début…. Je vois alors apparaître sur l’écran un visage que j’aime bien, et qui aime la photo. À chaque fois que je le vois ce visage je me rappelle comment l’homme m’interpella dans la rue « Anna ! Anna ! » , les bras chargés de vêtements sortis du pressing voisin. Je l’avais écouté sans dire un mot. Béate, j’attendais qu’il continue…. et ce n’est qu’après ce bref moment lui ai demandé qui il était. — Je fais ici la promesse d’aller le voir au théâtre l’année qui vient ! —

Ce visage fait partie prenante de cette grâce matinale.

*

E N A T T E N D A N T….

… en attendant que Junior, qui vient d’arriver en ce début d’après-midi, et dont j’avais évidemment zappé le rendez-vous pour le grand nettoyage de Noël, sans oublier les tommettes à faire briller et les parquets à raviver — « C’est ma deuxième maison ici » dit-il — donc, en attendant, pour le déranger le moins possible, je me pose dans la cuisine, me disant que ce serait pas mal d’écrire quelques mots sans intérêt, comme ça en passant, pour le plaisir d’entendre le claquement des touches du clavier sous les doigts. Parce que la tête est toute propre ; me suis coupée la frange de nouveau, Cédric va pas aimer…, bref, pour être devant cet écran loin de l’actualité du moment qui m’atteint un peu trop, comme nous tous je présume.
— Et puis, il y eu cette matinée si noire, oppressante émotionnellement. Sans raison. Je suis à chaque fois désarmée devant cet accablement qui se pointe, qui sabre sec. — Sortir, pour Erri. Nous avons marché. Pas envie d’aller où se trouve la foule ; choisir les petites rues. La déambulation me mène chez Irié. Accueil chaleureux d’une jeune vendeuse, ressemblant à une héroïne de Manga. Tout ce qui est sur les portants est à — 50% me dit-elle. — Je vois un gros pull posé sur une étagère. Je sais bien que ce n’est pas un portant, mais je reste optimiste, — et non. Adjugé quand même. — Il y avait l’autre jour cette parka en cuir noir léger léger, qui bougeait si bien. Il n’y avait pas ma taille. Peut-être aujourd’hui ? — Elle descend. Remonte avec la bonne taille. — Fait pour moi — Oui, ai-je dit. Assez de dire toujours Non. Prends ! semblent même me dire mes amours. Je les écoute toujours.
Irié, souriant. Il ne se rappelle plus, mais nous l’avons connu mince et chevelu… il m’offre un étui avec 3 vaporisateurs. Un parfum au citron, dont les tonalités changent en fonction des moments.
Nous sommes rentrés, et Junior est arrivé.

*


T EN T E Z L E C O U P !

Au rez-de-chaussée d’une rue au nom improbable derrière Montparnasse, Anne exerce en fin de semaine sa fonction d’hypno-thérapeute. Les autres jours, elle agit dans un établissement hospitalier de la grande banlieue parisienne. Sa spécialité, entre autre, l’hypnose symbolique – dont j’ignorais absolument l’existence. C’est Marie qui me l’a fait connaître. — Va voir Anne !
Grande, un large sourire, une masse de longs cheveux noirs ; extrêmement sympathique. Dès qu’on voit Anne, on pense à Gauguin ou Matisse qui auraient aimé la peindre. — Banalité d’écrire cela, mais d’emblée on « sent » qu’elle sait écouter et saisir ce que l’on ne peut exprimer correctement. Alors, on y va.
Pour l’hypnose symbolique, 2 séances sont préconisées. Par la suite, éventuellement, en fonction d’un blocage précis. — Ses tarifs sont provinciaux dirai-je. Raison de plus de tenter le coup de la rencontrer.

Dernièrement,
il y eu ce trouble qui s’insinua en moi, commençant à me plomber. Une sorte de confusion assez gaie aussi, donc tentante. — Halte ! — J’ai pris un nouveau rendez-vous. L’accueil, chaleureux : Anna, j’ai pensé à vous hier soir ! La blanquette réchauffait, mon mari, cuiller à main, la surveillait, il me dit alors :
— « … Et si on ouvrait une bouteille de Champagne ! – Allez! »

Bref,
— J’explique le pourquoi de ma venue. Anne m’écoute. M’interroge. Me pousse adroitement vers mes retranchements, chercher peut-être ce qu’il pourrait y avoir derrière tous ces Je ne sais pas. Puis, la dernière demi-heure, je m’allonge, elle met la musique. Aidée par sa voix, on arrive au symbolique, par la pensée, la visualisation. Pas moyen d’y échapper. On voit l’image. Ce samedi-là, dans mon cadre, les autres fois si lumineux, il y avait la brume, qui ne partait pas. Comment la faire partir ? Alors, elle m’a aidé. — Ce n’était pas franchement le bleu horizon, mais on y voyait mieux. — Et je pars.
Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il m’arriva en fin d’après-midi.
Dantesque, elle fut dantesque, l’angoisse, d’un coup, vers 17 heures, l’incompréhensible, l’absolue angoisse qui étreint tout. Bloque tout. Je voyais surtout défiler à la va-vite des images récentes, anciennes, surtout d’Urli, Laura. Un manque, un manque terrible terrible. Que faire, que faire. — Dormir.
Et le lendemain matin… le lendemain matin,
tout était d’un bleu si joli !
Le calme après la tempête… tout de nouveau simple et évident.
À sa place.

Alors j’ai écrit à Anne.
Sa réponse : « Cela ne m’étonne pas. C’est ce que j’adore avec l’hypnose. Déposer, évoluer, changer et aller vers ce qu’il y a de meilleur pour soi. — Vous avez la réponse à votre confusion gaie. »

*

Nota : si vous souhaitez les coordonnées d’Anne, je vous les transmets.

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