Il n’est guère de quartier, à Rome, où l’on n’entende le chant des oiseaux. Cela, d’abord, peut-être, parce qu’il y a partout des fontaines et de l’eau courante, mais aussi parce que les jardins y sont omniprésents. Au temps où la partie habitée de la Ville était restreinte à une portion seulement de l’ancien champ de Mars, tout ce qui, des ruines antiques, n’était pas transformé en forteresse, était devenu monastère ou villa, autant de solitudes où la nature vivante avait repris ses droits. Certes, les grands domaines qui naguère, couvraient les plus proches collines ont été le plus souvent morcelés, mais quelques-uns demeurent, même s’ils ne sont pas toujours accessibles. On devine leurs ombrages et leurs terrasses derrière les murs qui les protègent (…)
Tout naturellement, le jardin, enfermé dans les cloîtres, en vint à offrir l’image du paradis. C’était déjà la signification qu’il avait aux lointaines origines de cet art, et le mot persan « paradis » s’était conservé dans la tradition chrétienne : aussi ne peut-on s’étonner d’apprendre que ces jardins clos, quelque mystiques qu’ils fussent, s’ornaient de plantes nombreuses, parfois venues de loin et acclimatées sous le ciel romain ; les auteurs qui les décrivent ne peuvent échapper à la comparaison avec le jardin de la Création. Un paradis terrestre : luxuriance d’une végétation protégée, agrément d’une floraison continuée, d’espèce en espèce, parfum des fleurs et des plantes aromatiques, tout cela entre les ailes d’un portique, dispensant l’ombre et la lumière, la fraîcheur et la tiédeur, loin du monde et de ses tentations (…)
Ainsi, les jardins deviennent l’image, comme en un microcosme, de la société romaine toute entière, telle qu’on l’aperçoit sur les peintures et les gravures du temps passé : deux moines en robe blanche (voilà pour les disputes théologiques), quelques soutanes noires (ils préparent leur sermon), deux ou trois seigneurs merveilleusement vêtus, quelques groupes de dames (de celles qui vont seules par la ville, sans duègne ni sigisbée), çà et là un facchino oisif, un mendiant, parfois un cavalier ou une calèche. Le jardin accueille la Ville ; il s’est élargi et ouvert, il donne à respirer, et des vues sur le reste du monde –
Les siècles et les jours
Voyage à Rome