cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Catégorie : Récit Page 1 of 14

Paraggi

Les vacances de Pâques pour la zone parisienne.
D’un coup, je suis ramenée à celles où nous partîmes pour la première fois à Santa Margherita, perle protégée à 30 kilomètres de Gênes. Soleil au départ. L’autoroute, la musique de Prince je crois me rappeler. L’arrêt déjeuner chez Greuze à Tournus. Obligatoire. Bifurcation à Mâcon, direction le tunnel du Mont Blanc. Descente vers Gênes. La ville araignée. Les ponts, les ponts, les ponts. L’autoroute, Rapallo. La sortie. Et là, me rappelle l’émerveillement d’Urli, au tournant de la route descendant vers la ville, la vue plongeante sur Santa Margherita. Epoustouflé Urli. Je connaissais déjà, j’étais venue avec Maman, alors, je l’ai regardé, lui. Puis, l’hôtel, sur les hauteurs. La vue, la vue sur cette baie. Si on prend la corniche qui mène à Portofino, une autre surprise s’offre alors en chemin. La petite plage de Paraggi. Toute cette zone est protégée. Aucune construction possible. Et ce fut délicieux. Nous avons déjeuné là, bien des fois, seuls les restaurants étaient ouverts, aucune installation de plages. Moments de plénitude. Vraiment. Verre de Grappa en main.
Vous mets les photos

Santa Margherita
Paraggi

D’entrée de jeu

D’entrée de jeu, pourquoi places-tu systématiquement tes amoureux sur un piédestal me demande Catherine ? Et toi, pourquoi fuis-tu dès que l’on te place sur un piédestal ?
Catherine et ses questions…
Que répondre ?
Comment répondre.
Je pense que l’admiration n’est pas un mal. Tant pis si on se trompe.
Dernièrement, je me suis trompée. Aucun regret. Au contraire.
Erri soutient que l’admiration est une émotion sacrée, mêlée d’aucun désir, imitation ou possession. On ne peut mieux dire. Une émotion sacrée.
Quant à savoir pourquoi je fuis…, elle a raison…, par paresse peut-être.
Cette foutue histoire de ne pas être à la hauteur.
Peut-être pas.

*

Les draps

Le bleu, en haut. Le vert s’étoffe, en bas. Les oiseaux, entre les deux. Et puis là, à ce quatrième étage de cet appartement dans cette rue-là, l’appartement qu’il faut aérer, nettoyer, peut-être plus que d’habitude en ce moment.
Le lit défait. Chaque matin, le mettre en ordre. Toujours cette fêlure. Quotidienne. Ni plus ni moins piquante jour après jour. La fêlure du lit défait.
La fêlure du lit à moitié défait.
Je sais ça depuis le temps. Rien n’y fait. J’ai vécu avec Clem après la mort d’Urli. Rien n’y fait. La fêlure, qui n’a rien à voir avec l’absence, je pense, plutôt liée aux gestes d’amour aux étreintes aux baisers aux rires aux conversations nocturnes aux silences délicieux d’être à deux côte à côte. Comment faire alors?Je ne me pose plus la question. Je fais le lit. Cette fêlure finalement est terriblement vivante.

*

Chaque été, à la mi-août, il y avait une fête au château

Chaque été, à la mi-août, il y avait une fête au château du Cosquer. Ça semble banal de le dire, mais c’était une fête comme je n’en ai jamais connu ailleurs, une fête de rêve. Le Cosquer (en breton, la vieille demeure) était sur la route de Combrit, caché au milieu d’un bois de pins, au centre d’une pâture. C’était un château de conte de fées, une sorte de fantaisie blanche dans le style médiéval cher à Viollet-le-Duc, ornée de tourelles à chapeaux pointus et de tours crénelées, décorée de stucs et de frises, montrant une série de fenêtres et de lucarnes, avec une seule porte à chambranle en haut d’un escalier bordé de rampes de pierre incurvées. Un château surchargé, maniéré, irréel, pareil au fantôme des demeures jadis brûlées par les manants et les révolutionnaires. Sa propriétaire était elle aussi une survivante de l’ancien temps, la marquise de Mortemart, la descendante d’une famille qui remontait aux croisades, disait-on (son nom rappelait la mer salée de la Bible et le royaume de Jérusalem) (…)
La marquise ne se montrait pas. Trop âgée, peut-être, elle restait à l’intérieur du château, tandis que la fête se déroulait sous ses fenêtres. J’ai le souvenir confus de l’avoir entraperçue à la fenêtre du premier étage, au-dessus de la porte, une silhouette blanche et frêle.
Elle était respectée de tout le voisinage, la légende racontait qu’elle s’était opposée à l’armée allemande qui avait réquisitionné son château pendant la guerre, pour y loger ses officiers. Elle avait tenu tête à la Kommandantur, et avait préféré quitter le château et loger chez une parente à Quimper plutôt que de le partager avec les envahisseurs. Refuser de vivre avec les vainqueurs, c’était le seul héroïsme que pouvait montrer une vieille dame, et le gens de Combrit lui en savaient gré.
Pour rien au monde nous n’aurions manqué cette fête de l’été. Parfois les orages d’août y mettaient fin vers le soir. Les champs alentour avaient été fauchés et la chaleur de la paille nous enivrait, nous transportait. Nous courions avec les gosses dans les chaumes piquants, pour faire lever des nuages de moustiques. Les 2 CV des bonnes soeurs (le film avec de Funès n’a rien inventé) roulaient à travers champs. Les groupes d’hommes se réunissaient pour regarder les concours de lutte bretonne, ou les jeux de palets. Il y avait de la musique de fanfare sans haut-parleurs, et par-dessus les sons aigres des binious et des bombardes. Vers midi, c’était la messe en plein air, comme pour un pardon, mais le vieux curé de Combrit n’en faisait jamais partie. C’était un jeune abbé de la ville, qui prêchait en français, tandis que les fidèles entonnaient les chants liturgiques, certains en breton (Itron Santez Anna). Puis l’après-midi, après un buffet de charcuteries et de crêpes, la fête reprenait, les jeux, les concours, la lutte, et le soir venu, un bal – mais nous étions déjà repartis à vélo.

J.M.G. LE CLEZIO
CHANSON BRETONNE

*

Reprise en main

Je ne sais, vous, si vous tenez vos programmes quotidiens en cette période, me suis rendue compte que les cinq premiers jours les listes informelles ont été respectées. Et puis j’ai glissé. Dévissé le premier dimanche. Le grand n’importe quoi depuis. Côté alimentation, je ne sais même plus quelle est la couleur d’un haricot vert, le salé gourmand a encombré le réfrigérateur. Le tapis de sol roulé dans son coin etc, le pathétique a suivi.
Mais, jusqu’à présent, toujours, même si je ne sais pas nager, je vais au fond de la piscine et je rebondis. Le rebond, ce fut ce matin. Basta la dérive.
Avec les gestes habituels du ménage quotidien, pas le grand, vous voyez… l’essentiel. Les carreaux attendront demain.
La reprise en main corporelle. Nettoyer tout ce surplus, ce mauvais teint qui s’installait. Gommages. Masque. Crème. Ça fonctionne, parce que l’envie est là.
Parce que le rythme se retrouve. Parce que le corps en fait n’aime pas la dérive.
Maintenant je peux écrire mes futilités.

*

et François se lâche…


Alors cette rencontre ? Comment ça s’est passé ? Il m’étonne.
La porte à peine ouverte, il a su que j’avais rencontré une personne.
Lui explique que ça n’allait pas.
Trois heures, il a passé trois heures avec moi. J’allais le voir pour cette histoire d’appartement à vendre à trouver, qui, mine de rien me prend la tête.
Que nenni !
Il est ému de voir les deux billets que j’ai écrits sur lui. Je les lirai quand je serai seul. Il me parle politique. Il me parle santé. Il me parle de son amoureux. Les broutilles entre eux. Il me parle de mes cheveux. Tu t’es coupée la frange. C’est mieux. Tu as raison d’essayer un peu de blond. Ça m’fait penser qu’il faut que j’appelle Guyguy, qu’il me fasse les racines. Il me fait écouter bien sûr des p’tites chansons. Ecoute, celle-ci, c’est ton histoire, celle que tu vois maintenant comme non existante — c’est toi qui le dis, pas moi.
– Que voulez-vous, je suis bien ici. Je ris.
Il me demande un compte rendu… C’est beau… Tu dois absolument écrire une chanson à ma copine. Je vais l’appeler. Je vous assure, il l’appelle. Elle répond.
Me sens entraînée par une vague, allez hop !
Je te passe une amie, elle écrit comme tu aimes.
Elle l’aime son François, elle le connaît par coeur, elle joue le jeu ; nous nous parlons un peu, amusées de tout ce remue-ménage qu’il déploie pour nous mettre en contact.
Il faut dire aussi, pendant tout ce temps, son téléphone ne cesse de vibrer.
On le demande. On le demande.
Reprenons le chemin des cartes. Je les nettoie avec le talc.
On attaque le sérieux. Physiquement, il est tendu. Concentré. Il va vite. Très vite. Il ne faut pas l’interrompre. Le rythme, soutenu.
Les flashs. Il a mal à la tête.
Un flot de renseignements. J’ai du mal à tout capter.
Il aiguise les précédents résultats.
Il précise les choses, la temporalité. Il resserre le jeu.
Rien n’y fait. Deux amours. Le nouveau arrive, le bon. Il me donne le mois. Ça me fait bizarre. D’autres cartes. Plus jeune que moi. Vie en commun. Harmonie. Fondation. Mariage civil ou quelque chose comme ça.
– Impensable.
Mais le gros du lot reste cette foutue écriture.
Tout est là me dit-il. C’est maintenant. Ecris. Fais-le. Maintenant, cette année. Fais ce roman, ta bluette. Vite. – Edition, production, j’en sais rien, mais c’est là, c’est là.
– Et cette fois, à cet énoncé, je n’ai plus peur.

*


Florence

J’ai connu Florence lorsque je dus vendre notre appartement du 11e arrondissement. Elle l’acheta. Notre rencontre se fit chez le notaire pour la promesse de vente. Une jeune femme brune aux cheveux longs légèrement ondulés. Un beau visage. De l’allure. Un mystère émane d’elle. Une distance. Beaucoup de classe. Je connaîtrai plus tard la qualité de son humour. J’appris qu’elle travaillait chez Gallimard. « Il y a quelqu’un que j’aime chez Gallimard, que toutes mes copines détestent : Sollers. – « C’est un amour. »
À la vie à la mort avec Florence !
Nous aimons déjeuner ensemble. Toujours elle m’apporte des livres.
Me fait découvrir des auteurs.
Ce matin, nous nous sommes retrouvées au Flore, pour un café. Je vais donc découvrir Patrick Wald Lasowski « Le grand dérèglement ». Le libertinage.
Le poète Jean Ristat, que je ne connaissais pas. J’ouvre, pour le plaisir : Comme tu aimais les vagues lorsqu’elles font
Le bruit d’un livre qu’on feuillette et nous racontent
L’histoire du ciel amoureux de la terre
(ô, toi, je vais t’aimer je le sens).
Les poèmes d’Alicia Gallienne. Deux contes de Le Clezio « Chanson Bretonne » « L’enfant de la guerre ». Eden, de Guyotat. « Le cercle des tempêtes » de Judith Brouste…
Jolie matinée non !

*






Pardon

Ce matin j’ai demandé pardon à quelqu’un. Je ne sais si je le recevrai. Je dirais que c’est secondaire. L’important est d’oser le demander. Demander pardon c’est mettre à mal son orgueil en posant le mot, c’est se déjuger, faire confiance au jugement de l’autre. Se sentir libérer de carcans. Ne pas attendre de l’autre qu’il demande aussi pardon.
Et puis, dans le calme de cette action, je me suis posée une question.
Combien de fois as-tu demandé pardon ces dernières années ? N’y a-t-il pas eu ces moments de conflits, ces situations ces séquences compliquées qui auraient mérité cette demande. Et tu ne l’as pas fait.
Alors, pourquoi là ?
Parce que là nous frôlons l’intime. Parce que ma naïveté fit du mal. J’ai coloré inconsciemment une histoire, voulant lui donner une saveur qu’elle n’avait pas. Par délice. Par gourmandise. Parce que si l’on joue avec le feu on se brûle.

*

Je veux du bleu

L’idée te vint ce matin de faire une addition. Rapide. Franchise du résultat. Tu te rends compte immédiatement : quelque chose ne fonctionne pas. Le temps passé avec sa femme, pratiquement égal à celui que tu passas avec lui.
Quelle dérision. Vous vous êtes rencontrées d’une façon des plus improbables, toutes les deux. Tu raconteras l’histoire un autre moment peut-être. Vous êtes retrouvées il y a peu. Elle était curieuse de toi. Vous vous êtes racontées. Et lui s’est estompé derrière vos conversations, tu t’es laissée entraîner vers l’histoire de ce couple libre. Notre couple fut métamorphosé. Mais toi, ton sujet c’est juste Lui. Tu y reviens aujourd’hui. Si tout va si bien, alors pourquoi porte-t-il tout ce poids, même si ce poids vient de loin, pourquoi cette vie de liberté ne l’allège-t-il pas, ne le renforce pas ? Pourquoi prend-il un regard si triste brusquement ? Pourquoi est-il dans le désarroi des sentiments ? Pourquoi se sent-il comme un ciel gris plein des nuages de l’orage, ne voyant pas l’espace bleu là-bas, à droite ? comme sur la photo qu’il t’adressa la dernière fois. – Bien sûr, si sa femme devait faire un texte sur toi, tu en prendrai sûrement pour ton grade. Oui, tu as fait beaucoup d’erreurs avec lui, te confirme-t-elle.
Lui et toi. Du grand Tralala. De l’effervescence. De la douceur si souvent. Des baisers, pas si souvent. Des caresses, des tas de caresses, en vrai, en virtuel.
De l’émouvant, tout le temps. Je vous envisage lui disais-tu au début.
Des mots. Des centaines de mots. Que ne vous-êtes vous pas dit ?
Lui et toi, des incompréhensions. Des impatiences. Des adieux à répétition.
Ce matin, le geste lourd, tu as envoyé le dernier. Tu sens que c’est vraiment le dernier. Il a une autre couleur que les autres. Il sent le vrai.
Je voulais tellement connaître ce que tu disais vouloir me donner dans la nuit à venir. Je voulais tellement connaître cette vague. Et puis, comble du romanesque, le matin venu, nous nous serions quittés. Sans plus se revoir jamais. Echangeant quelques mots, légèrement, sur l’air du temps, de temps en temps, pour la douceur des sentiments. Je ne peux plus t’attendre. Je ne veux plus t’attendre. Je veux du beau. Je veux du doux. Je veux du bleu.
Fini, cet lien toxique.
Fini, ce regard si doux.
Et là, tu vois ton foutu sparadrap se détacher de lui-même sans geste brut.
Tu le regardes. Tu trouves qu’il est magnifique, tombant ainsi, presqu’en tourbillonnant. Tu l’as préservé ce sparadrap. Et là, tu comprends le truc. Sotte que tu fus. Le sentiment n’est pas un sparadrap. Ne sera jamais dans un foutu sparadrap.
Même si aujourd’hui la raison des autres a gagné, même si aujourd’hui ton rêve a perdu, aime qui tu veux Anna. Ne te résigne pas. Aime-le si tu veux. Mets-lui du bleu.

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Fuguer

Bien gris ce matin parisien où je me vois nettement, face à mes contradictions, Je sens bien ce mystère, je sais que je suis absolument capable de les affronter, de les effacer, comme ça, je sais ça, et je les laisse là, s’empiler. Je suis fatiguée. Mon centre est menacé.
Je voudrais connaître l’art de la fugue. Fuguer, loin de tout ça. Fatras de foutues pensées ressassées, accumulation pour rien. Ne menant à rien. Encombrement. L’effritement en moi, je déteste ce sentiment, J’aime le solide léger, l’écoulement du temps, la belle lenteur ; simultanément ne pouvant me passer de la vivacité, de cette gaieté, de l’impossible que je crois toujours possible, depuis l’enfance.
La jouer fine, je sais pas faire, ou alors oui, dans la spontanéité, pas dans la stratégie. Alors, inutile de t’en faire, Anna, de te prendre la tête. Oublie les il faut que. N’oublie pas le Sois désinvolte, de Fabienne Verdier.
Continue.

*

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