Chaque été, à la mi-août, il y avait une fête au château du Cosquer. Ça semble banal de le dire, mais c’était une fête comme je n’en ai jamais connu ailleurs, une fête de rêve. Le Cosquer (en breton, la vieille demeure) était sur la route de Combrit, caché au milieu d’un bois de pins, au centre d’une pâture. C’était un château de conte de fées, une sorte de fantaisie blanche dans le style médiéval cher à Viollet-le-Duc, ornée de tourelles à chapeaux pointus et de tours crénelées, décorée de stucs et de frises, montrant une série de fenêtres et de lucarnes, avec une seule porte à chambranle en haut d’un escalier bordé de rampes de pierre incurvées. Un château surchargé, maniéré, irréel, pareil au fantôme des demeures jadis brûlées par les manants et les révolutionnaires. Sa propriétaire était elle aussi une survivante de l’ancien temps, la marquise de Mortemart, la descendante d’une famille qui remontait aux croisades, disait-on (son nom rappelait la mer salée de la Bible et le royaume de Jérusalem) (…)
La marquise ne se montrait pas. Trop âgée, peut-être, elle restait à l’intérieur du château, tandis que la fête se déroulait sous ses fenêtres. J’ai le souvenir confus de l’avoir entraperçue à la fenêtre du premier étage, au-dessus de la porte, une silhouette blanche et frêle.
Elle était respectée de tout le voisinage, la légende racontait qu’elle s’était opposée à l’armée allemande qui avait réquisitionné son château pendant la guerre, pour y loger ses officiers. Elle avait tenu tête à la Kommandantur, et avait préféré quitter le château et loger chez une parente à Quimper plutôt que de le partager avec les envahisseurs. Refuser de vivre avec les vainqueurs, c’était le seul héroïsme que pouvait montrer une vieille dame, et le gens de Combrit lui en savaient gré.
Pour rien au monde nous n’aurions manqué cette fête de l’été. Parfois les orages d’août y mettaient fin vers le soir. Les champs alentour avaient été fauchés et la chaleur de la paille nous enivrait, nous transportait. Nous courions avec les gosses dans les chaumes piquants, pour faire lever des nuages de moustiques. Les 2 CV des bonnes soeurs (le film avec de Funès n’a rien inventé) roulaient à travers champs. Les groupes d’hommes se réunissaient pour regarder les concours de lutte bretonne, ou les jeux de palets. Il y avait de la musique de fanfare sans haut-parleurs, et par-dessus les sons aigres des binious et des bombardes. Vers midi, c’était la messe en plein air, comme pour un pardon, mais le vieux curé de Combrit n’en faisait jamais partie. C’était un jeune abbé de la ville, qui prêchait en français, tandis que les fidèles entonnaient les chants liturgiques, certains en breton (Itron Santez Anna). Puis l’après-midi, après un buffet de charcuteries et de crêpes, la fête reprenait, les jeux, les concours, la lutte, et le soir venu, un bal – mais nous étions déjà repartis à vélo.
J.M.G. LE CLEZIO
CHANSON BRETONNE
*