la maison apparaissait dans son bosquet, ses lilas, son passé raconté, la maison qui déjà lentement s’enfouissait sous d’inutiles saisons sans récoltes et ne renfermait plus dans ses murs vides que le temps rongeur ; qu’importait. Je serais grand et aurais de l’argent pour la restaurer ; j’émonderais la glycine ; dans le petit jardin où Elise se lamentait sur des ronces, on me lisait un avenir de giroflées et d’hortensias ; ici des enfants joueraient et le futur triomphait : j’y viendrais en vacances et m’y louerais de réjouir les vieux morts (…)
La maison me demeure ; mon amour pour elle n’a pas décru. Une glycine morte s’y désespère ; la tempête et mon incurie ont tout ruiné ; les essences rares qu’avait pour moi plantées Félix s’effondrent une à une sur les grandes, il y a des craquements brusques et des érosions lentes ; les grands vents jettent des ardoises ivres aux flancs des marronniers, l’eau morte s’amoncelle où les vivants dormaient, des portraits choient et au fond des armoires d’autres sourient dans le noir à l’oubli qui les comble (…)
Allons, tout est bien ; les anges miséricordieux passent dans un vol d’ardoise, se brisent et renaissent dans l’air bleu ; ils écartent la nuit des toiles d’araignées, près des fenêtres cassées regardent lune après lune des photos d’ancêtres dont les noms leur sont connus, entre eux suavement chuchotent et peut-être rient, bleus comme la nuit et profonds, mais cristallins comme une étoile ; qu’ils jouissent de mon héritage inhabitable ; le miracle est consommé.
Vies minuscules
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