Quand Ulysse rentre à Ithaque, il rencontre son vieux porcher. C’est le seul qui a gardé intacts son honneur et sa fidélité. Homère n’emploie justement pas les adjectifs fidèle ou vertueux. Ce serait trop facile. Le poète emploie l’épithète « divin ». Ce mot a fait couler beaucoup d’encre. Pourquoi considérer comme « divin » un gardien de cochons ? C’est peut-être parce que « divin » exprime précisément ce que cherchent à cerner les épithètes, ce à quoi aspire l’adjectif : l’expression de l’entière manifestation de soi-même, la vérité pure, la force de ce que la présence offre au regard. Être divin, ce serait donc exhaler sa plus pure identité, sans détour, sans masque, sans maquillage (…) Ce porcher est l’homme sur qui l’on peut s’appuyer. Il n’a pas trahi. Il ne convoite rien, il garde en lui le souvenir des temps révolus. Il est fidèle à la mémoire du maître. Il ne varie pas. Il accueille le mendiant sans reconnaître Ulysse. Il est le premier homme réel rencontré après les monstres et les magiciennes. Et, de surcroît, il se révèle bon. C’est peut-être cela être divin. S’accorder à soi-même dans la pleine lumière, descendre entièrement dans sa présence, s’harmoniser à sa vibration nue, se tenir là, modestement dressé dans le rayonnement de l’existence. Est divin cet homme retrouvé tel qu’il était, vingt ans après avoir été quitté. Le porcher n’est pas devenu ce qu’il est, pour reprendre le mot de Nietzsche. Il a continué à être ce qu’il était déjà devenu : divin. Qui peut se targuer d’une telle épithète ?
Un été avec Homère
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