cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : juin 2018

comme ça on ira en Amérique – Carlo Levi

Quand l’automobile du maire de New York, une belle Pontiac grise prêtée pour l’occasion, s’arrêta à l’entrée du village d’Isnello et que M. Impelliteri et sa femme en furent descendus dans le vacarme des applaudissements et de la fanfare municipale, dans le désordre de gendarmes, motocyclistes de la suite, journalistes, photographes, curieux, innombrables cousins, parents au second degré, bourgeois, paysans, bergers, femmes, dans le désordre, en somme des quatre mille habitants d’Isnello qui l’attendaient, les gamins du village se pressèrent autour d’elle, s’appelant l’un l’autre à grands cris, se poussant, se bousculant, jouant des coudes pour la toucher. « Il faut qu’on touche la voiture », criaient-ils, s’exhortant réciproquement avec le visage sérieux de ceux qui font quelque chose d’important. « Il faut qu’on touche la voiture, comme ça on ira en Amérique.« 

Carlo Levi
Les mots sont des pierres
Voyages en Sicile

Pierres des chemins – Guillevic

Tout ce que j’ai mis
Comme tendresse
À ne pas vous caresser,

Pierres des chemins.

Maintenant

L’infini – Guillevic

Peux-tu jurer
Que toujours

Tu préfères
Le fini à l’infini ?

L’infini
C’est toi dans tout
Ce que tu n’es pas.

Maintenant

Avec le corps qu’elle a – Christine Orban

À onze ans, mon monde se bornait au seuil de ma maison. Je n’imaginais pas que les parents pouvaient mourir, les toits s’envoler et que l’on pouvait se retrouver perdue, avec une maman comme une enfant, incapable d’affronter la réalité. Mais elle était ma mère, pas ma petite soeur. Elle représentait une autorité, je l’écoutais.
La peur d’une mère est contagieuse. Elle m’a refilé ses miasmes d’anxiété, sa terreur des hommes, des autres, son manque d’assurance, comme la grippe. On n’en meurt pas forcément, mais on respire mal, toujours un peu souffreteuse. Contaminée, je l’étais à fond. Une fois installée dans la famille, la peur se transmet de mère en fille (…) Cette inoculation, est-ce la destinée ? Comment trier, laisser de côté les fragilités des parents, leurs frayeurs, leurs humeurs, et ne garder que leur force, leur originalité, leur générosité, leur envie de vivre et de partager ?
L’attitude de BP* m’a convaincue d’une chose : dans ce monde, mieux valait ne pas avoir l’air d’une personne heureuse pour ne susciter ni l’envie ni la jalousie.
Cela m’apprendra à faire semblant. Rien ne serait arrivé si je n’avais prêté à confusion :
Air mutin
Joli sourire
Joli corps
Bikini et balconnets
Synonyme de joyeuse légèreté
Milieu envié
Petit ami, voire plusieurs
Belle maison – peu importe s’il s’agissait de celle de BP, je posais ma serviette sur sa crique, je lisais sous son arbre.
Un manuscrit accepté par un éditeur.
L’addition était simple, le résultat aussi : malentendu, grosse colère d’un côté, sidération de l’autre (…) Les livres de Beauvoir auraient dû m’encourager à m’affirmer. Comment ai-je pu me soumettre sans un mot, sans réagir ? Une part de moi a consenti (…) J’étais en détresse. Coupable, forcément coupable. Mais de quoi exactement ? (…) Faute d’avoir le cran de dire non, d’oser me révolter, j’aurais au moins pu essayer d’être heureuse en douce, après tout (…) Mais je n’y parvenais pas. J’avais besoin de l’assentiment des autres, prisonnière de leur regard.

Avec le corps qu’elle a…

*BP  : son beau-père

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