Dans les périodes de vaches maigres il avait même accepté des boulots de manutentionnaire, ceux-là il n’y avait qu’à se baisser pour les ramasser. Il était alors payé pour promener des palettes de caisses de bières sur le parking des livraisons à l’arrière d’un supermarché, ou pour transporter à la minipelle des tuyaux de tuyaux de huit pouces – douze centimètres – de section, en fonte, de l’allée C à l’allée F, dans un entrepôt géant des bords de la Tamise.
Il avait été veilleur de nuit dans un hôtel borgne.
Barman remplaçant dans une demi-douzaine de pubs.
Chez Harrod’s, il avait vendu successivement de la charcuterie, des chaussures pour dames et des matelas « Queen size ».
Le job pour la British Petroleum dont on vient de le licencier n’avait franchement pas été de pire des boulots (…)
Depuis son licenciement, Jones survit en jouant le jeudi, parfois le vendredi soir, dans une boîte de cocktails et de jazz, le Nightingale’s. La clientèle d’oiseaux de nuit qui hantent les lieux lui ressemble un peu. Certaines serveuses sont des amies. Le reste du temps, Jones est chez lui. Il joue. Il joue comme un fou, toute la journée et souvent une bonne partie de la nuit. Il compose, dit-il. Ça ne nourrit pas son homme.
Ses joues se creusent légèrement. Il a sous les yeux des cernes bleus. Il s’en fout.
L’orgueil est chez Jones un organe plus sensible que l’estomac.
Il a l’air encore jeune, en allant sur sa quarantaine, et cela lui permet encore d’avoir l’air de quelque chose. Un jeune, ce n’est jamais tout à fait au chômage. Pas encore – c’est un jeune. D’expédients en petits boulots, Jones gagne, depuis des années, plus de temps que d’argent.
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