Je parcourais des paysages verts aux ciels immenses, gorgés de vent, les yeux baignés de cette lumière sourde aux larges mouvements qui est celle de la Hollande, et je m’arrêtais pour déjeuner de concombres et d’omelettes aux chanterelles dans des auberges aux longs toits de chaume ou des paysans polis et laconiques trempaient leurs moustache claire dans de petits verres évasés au fond desquels une pincée de sucre attendrissait l’âpreté jaunâtre du vieux genièvre. Il me semblait que je n’avais pas assez de mon regard pour m’éblouir de toutes les visions que je recueillais au long de ces journées où j’allais seul, superbement disponible, joyeux et neuf, en quête d’un pays dont l’âme était mon âme, et je me découvrais en lui, sachant déjà qu’à jamais je lui resterais fidèle, dussé-je le perdre, comme je devinais que soi-même on se perd dans les méandres de la vie et des phrases, en dépit de toute fidélité. Mon bonheur s’aggravait de se savoir fragile. Je rêvais que plus tard, je reviendrais parcourir ces Gueldres et ces Frises avec celle que j’aimerais, et que, de cette beauté confuse qui m’étouffait, je pourrais alors faire don ; ce partage recréerait les jours perdus de l’enfance, et le coeur serait enfin satisfait. La possession du monde ne pouvait être illusoire.
Mais au diable ce lyrisme infantile.

La pluie à Rethel