cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : novembre 2022

Flashback

Elle a quoi cette gamine, accroupie sur le trottoir, regardant filer l’eau dans le caniveau, 8-9 ans…
C’est l’été. Ses copains, copines sont tous partis. Ailleurs. Elle, reste seule dans cette banlieue rouge de l’Est parisien, mais elle s’en fiche. Sa grand-mère est là. Sa mère est en Afrique où elle travaille. Elle ira, mais plus tard. Reviendra assez vite, malade des fortes chaleurs. — Elles habitent une assez grande maison, pas très belle, pratique. Au rez-de-chaussée, deux familles, une au premier, et elles, au second, sous les toits. Pas de jardin. Pas de fleurs. Une cour, comme le reste, pratique, on y étend le linge, range les vélos…
La ville va devenir méconnaissable. Ils veulent abattre son beau cerisier dans le jardin de la maison d’en face. Ils veulent abattre les maisons qui font le charme de ces sentes où elle va cueillir les framboises, les mûres et ses préférées, les groseilles. Insalubrité, disent-ils. Modernité. Ils veulent abattre le bistrot du coin, le boulanger, le boucher, l’immense laverie, la laiterie. On entend déjà leurs pelleteuses qui creusent l’autoroute là-bas. Leurs engins préparent un futur pont. Son espace estival ? Une sorte de no-man’s land. Les voitures ne peuvent plus passer, la rue est une impasse, le petit bistrot aux immuables joueurs de cartes en fixe l’extrémité avec ces tonnes de monceaux de sable.
Elle semble étrangère à ce vacarme. Inconsciente de sa solitude. Juste consciente que c’est l’été, qu’elle est en vacances. Il fait beau. Le marchand de glaces va sûrement passer. Sa grand-mère va la gâter. Elle lui prendra du jambon pour déjeuner, avec des cornichons croquants, du saucisson, trop souvent, du pain de Gênes. Parfois de la limonade et les pâtes, bien sûr, qu’elle ne renie pas en Italienne qu’elle est. Mais, ayant fui le pays des fascistes, elle prendra toujours des pâtes françaises. C’est, à ma connaissance, la seule italienne qui ne soit jamais revenue au pays. « Ici, on m’a donné à manger, on m’a appris le Français, et pour la première fois on m’a appelé Madame. »
La petite fille découvrira l’Italie à l’adolescence ; sa mère voulant absolument lui faire connaître la Ligurie, Santa Margharita. Une merveille. Son premier flirt italien, un sicilien de son âge, sombre, sombre, mélancolique comme c’est pas possible. Elle s’y amusera sans oublier que sa grand-mère y venait chaque octobre dans cette jolie ville pour s’abimer les mains et le dos à cueillir les olives, faisant une partie du voyage à pied depuis ses montagnes d’Emilie où les villages crevaient de faim.
Près de son caniveau, elle ne sait pas qu’elle vit là un de ses derniers étés de petite fille. Elle ne sait pas que de vraie blonde elle deviendra fausse blonde, portera les mini jupes de Mary Quant et les robes blanches des hippies. Elle ne sait pas encore que le voisin d’à côté, compagnon des chasses au trésor d’enfance, lui apprendra l’art du baiser, du tempo. — Une révélation. Merci Ami.
Mais en attendant tout cela, la petite fille lit. Elle lit tout le temps. Là, un livre de la collection Rouge et Or, que sa tante lui a offert. Elle ne le lâche que pour se laver, dormir, manger, aller au marché. L’Expédition du Kon Tiki. Elle n’en revient pas de ce qu’elle lit. Elle est avec eux, Thor Heyerdahl et l’équipage, sur ce radeau, entre Pérou et Polynésie. — L’aventure, son été.
Le romanesque ne la quittera jamais plus.
Sa grand-mère l’appelle : « Il fait chaud. Tu as soif ? »

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J’aime beaucoup ce que vous faites !

Le visage, que je connais bien maintenant, apparaît plus ou moins régulièrement sur mon compte Twitter pour aimer telle ou telle citation ou image. Nous nous suivons mutuellement. Lorsque je le vis hier, ce visage, à la suite de la publication d’une photo de la brasserie d’à côté un vendredi soir, je me suis dit qu’il serait sympathique d’expliquer comment se déroula la rencontre, non virtuelle, entre nous.

Je raconte.

Le début de l’automne l’année dernière. La maison est en travaux. Je suis toujours dans cet aparthôtel où je m’ennuie. Je remonte la rue Dauphine au rythme d’Erri, lentement. J’entends soudain – Anna ! Anna ! et je vois traverser du trottoir d’en face, à pas rapides, un homme à l’allure d’adolescent, les bras chargés de vêtements dans des sacs plastique transparents, repris visiblement du pressing. Il sourit lorsqu’il arrive devant moi. « Je vous suis sur twitter, j’aime beaucoup ce que vous faites.  » — et je le regarde. Le regarde. Ne disant absolument rien. Juste je le regarde. Je le regarde. Comment dire ? On sent la vie en lui. Il est étonnamment vivant. C’est un gentil d’évidence. Il est probablement gêné de ce silence. De mon sourire béat. Nous sommes là, figés et silencieux. — Finalement, je me rapproche de lui. Doucement, – « Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous ? »… Il soulève un bras, comme pour signifier « Ça n’a pas d’importance » et s’apprête à traverser de nouveau la rue. Je le regarde s’éloigner. Il se retourne alors, Je m’appelle Pascal Rambert ! — D’évidence, l’ignorante que je suis, ne le connaît pas.

Alors, hier soir, suis allée sur Google pour m’informer un peu mieux sur lui.
Pascal Rambert a créé son premier groupe de théâtre à 17 ans.
Son professeur de philosophie d’alors : Clément Rosset. Il rencontre très vite Jean-Pierre Vincent, Claude Régy puis Antoine Vitez…
Pascal écrit… écrit… — Pascal monte une compagnie. Pascal voyage.
Ses pièces sont traduites en 23 langues.
Des prix, à foison.
mentionné qu’il est Chevalier des Arts et des Lettres.

C’est cet homme-là, les bras chargés de vêtements sous plastique, qui m’a interpellée.
« J’aime beaucoup ce que vous faites !… »

La beauté, décidément….

* * * *



Deux feux

Je l’ai regardée d’un coup. Fixée du regard. Et là, je l’ai vraiment vue.
Alors, la colère intérieure s’est immiscée.
Deux feux… la plaque électrique que j’ai à la maison n’a que deux feux…
Je me souviens lorsque je suis allée avec Philippe chez Darty, à la Madeleine. Ensemble nous avons fait la tournée des popotes, choisi rapidement la machine à laver, le frigo, le four, la plaque….. Après, satisfaits, nous avons déjeuné d’une omelette aux truffes dans le resto voisin, papotant sur mille choses.
Je suis entièrement responsable de ces choix. J’ai été dans l’acceptation lorsque le vendeur m’a dit, une petite plaque suffit vous êtes seule, et il y a le four pour cuisiner.
Alors, quoi ? Et bien ce matin-là, en la voyant, elle m’a ramené à être la veuve. Veuve. Vous êtes seule, cela suffit. Et cette petite plaque m’a parue d’un coup la tristesse absolue.
Refus de l’idée illico.
J’appelle Sami qui me confirme qu’il est absolument possible de tailler dans le béton, je devais juste demander la hauteur du panier. Il ne faut pas que ça dépasse 5 centimètres.
J’ai mis mon manteau. Suis allée à deux pas, rue du Bac, chez Miele. Expliqué au vendeur .
J’ai vu alors la plus jolie plaque électrique du monde, avec ces feux joyeux et l’idée qui va avec.

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