cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : mars 2023

L’ardeur

L’ardeur. Voilà un mot que j’aime.
Comme vivacité et tant d’autres de cet acabit. — D’accord, elle s’est éloignée de moi ces derniers temps.
Je ne lui en veux pas, il y a bien une raison, je la connais ; et ce ne serait pas raison d’ oublier son existence. Ses allers-retours de midinette. Sa patience, sa résistance. L’ardeur n’a rien à voir avec l’héroïsme, l’enthousiasme, mais je peux me tromper à penser cela. Elle donne l’élan, porte l’énergie, la vie s’anime dès qu’elle se pose dans l’coin. Elle sait travailler ; balayer les doutes devant sa porte.
Elle est inspirante. Patiente. Innovante. Je ne sais pas si elle a le premier rôle dans l’harmonie.
Peut-être.


***

Ce foutu côté coeur

Il est arrivé ce dimanche avec un bouquet de roi, annonciateur de printemps ; du mimosa, en veux-tu en voilà ! — Yass bien sûr, pour un déjeuner rapide. Rendez-vous professionnel. Evidemment nous avons ce plaisir aussi de nous retrouver de temps à autre sans parler boulot si je puis dire.
— Yass est médium. Attention, haut niveau… À chaque séance, son téléphone ne cesse de vibrer. On l’appelle de tout près ou de très loin. — Et Yass a cette gentillesse extrême de me supporter.
Il sait d’avance que je vais peut-être lui parler de quelque problème technique, d’une hésitation devant un choix, que l’essentiel reste ce foutu côté coeur. Il le sait.
Ce qu’il a pu me faire rire avec mes amourettes. — « Lui ? à fuir ! C’est un aspirateur de lumières ! »
Le côté technique évacué, nous entrons dans le privé.
Et là, je me régale. Et je prends tout. Et je garde tout.
Brillante est la façon dont il interprète les cartes. Sa mémoire, le lien qu’il fait avec les précédentes séances, est bluffante. Le puzzle amoureux commencé il y a quelques mois prendra-t-il tournure ?
Yass, qui, la dernière fois était extrêmement négatif quant à l’homme dont je lui parlais, qui me surprend depuis peu, me laisse sans voix, dont je ne connais rien de la vie privée, Yass constate qu’il y a bien, effectivement, cette réalité nouvelle, ce lien, des deux côtés, qui s’est resserré. Il n’est seulement pas sûr qu’il soit le bon, côté coeur. Amitié possible. — Avec le bon, il y a des livres autour de lui, et là, il ne les voit pas. Par contre, Yass voit nettement que cet homme traverse actuellement un drame personnel. — et comprend pourquoi il le si triste la dernière fois, d’où son sentiment négatif.
Et moi, je comprends son absence du moment.
Autrement, Yass voit toujours cette campagne, cette maison au bord de l’eau… et d’autres beautés.
Tout commencera-t-il à s’emboiter un jour ?
C’est ça qui est passionnant et doux.
*
« Pas de rêveries ! — Du travail ! » — dit-il en partant.

*

Banalités d’un matin,

En descendant avec Erri, qui se fiche totalement de l’air du temps et renifle déjà le mur d’en face, j’ai vu les pigeons postés sur leurs gouttières. Je sors des poches les morceaux de pain. Erri jette un oeil, il pourrait y avoir malgré tout quelque sucrerie. — J’évite d’écraser les premiers brins d’herbe poussant entre les interstices des pavés. Ils en prennent plein la tête avec ce vent. Ils tiennent.
Nous avançons. Tout est froid même le vent n’en peut plus d’être cinglant comme ça sur le quai. Quelques personnes, au sexe indéterminé, enveloppées dans des parkas, de longs manteaux, capuches relevées, entourées d’écharpes, avancent tant bien que mal vers le Pont RoyaL. La photo de ces silhouettes pourrait être sympathique en noir et blanc. De gros camions arrivant au niveau du feu rouge m’empêchent de la faire ; Erri aussi, m’entraînant vers un pneu. — Nous avançons. La Frégate est fermée pour travaux pendant quelques jours. Cette brasserie, qui ne m’inspire en rien, est d’ordinaire blindée de touristes du matin au soir. La rue du Bac voit son trafic entravé par de gros travaux de maintenance. Des camions, garés comme ils peuvent. Le bus 68 ne peut s’arrêter évidemment, des usagers descendent ; d’autres, montent. Quant à nous, nous avançons. La rue de Verneuil est balayée par les rafales. Nous la prenons. Le petit Proxi pas encore ouvert. Quelques passants. Quelques voitures. Je n’ai aucun regard pour les vitrines d’antiquaires. Nous traversons la rue de Lille, et rentrons. Emilia fume dans la cour la cigarette matinale. Son sourire et son bonjour.

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