cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Mois : mai 2023

L’abri

Colette écrit dans 3,6,9 (ses maisons et multiples déménagements) : Si un logis a rendu tout son suc, la simple prudence conseille de le laisser là. C’est un zeste, une écale… Plutôt repartir, courir l’aventure de rencontrer, enfin, l’abri qui n’épuise point : tous les périls sont moindres que celui de rester.

Il n’y avait pas péril immédiat à rester où j’étais. L’appartement était lumière, calme, les oiseaux venaient nombreux s’alimenter aux diverses boules accrochées là et là. Un matin, j’ai pourtant bien entendu cet appel me disant de partir pour chercher cet « abri qui n’épuise point ». — Pas par caprice, par vitalité.

Dans cette phrase de Colette, il y a ces mots : « l’aventure » « rencontre ». Trouver l’abri fut une aventure, une rencontre. Lorsque je monte l’escalier qui mène à l’appartement pour le visiter, un très chaud après-midi d’été, j’entre dans la voyance de Yass. « C’est petit, mais c’est chouette. Un trois pièces. La Seine est à côté. » — J’y ressens une énergie incroyable. J’ai rencontré l’abri.

La beauté a suivi avec cet appel inattendu de Philippe. « Anna, Stanislas me dit que vous déménagez. Je peux vous donner quelques conseils. » — Stanislas m’avait livré un dernier bouquet de roses. Je lui annonçais mon déménagement. Sa boutique jouxte celle de Philippe. Philippe, qui me connaît par coeur. Il m’a fait une maison à la campagne qui n’a rien de mièvre. Qui me donne une sérénité chaque matin ; et si parfois la tristesse cherche à pointer le bout de son nez, la maison est réactivité. L’énergie repart. — Peut-on dire d’une maison qu’elle est une amie ?

Mozart. — Don Giovanni …. Là, mi dirai di si…. Vedi, non è lontano.

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Un lundi matin

Ce pourrait être un lundi matin de rien. Et non. — Basique évacué vite fait, draps changés, ménage rapide. Junior vient mercredi pour le grand bal du nettoyage profond… Il m’amuse absolument Junior. Vous avez un nouveau tableau, là… Encore d’autres livres ! À chaque fois qu’il s’active j’ai l’impression de voir un film en accéléré. Il a le rythme d’un danseur, ses gestes, d’une élégance rare. Il ne s’en rend pas compte.
Donc, ce matin, après trois, quatre cafés, je repense à ce que m’a dit Yass ces derniers jours. Bossez ! bossez ! Hier, ce fut lors d’un déjeuner dans sa petite maison des Batignolles. Il avait préparé pour Marie et moi, un poisson en papillote garni de légumes frais. Champagne évidemment. Yass soutient absolument Marie dans la dernière phase de son traitement médical. Elle ne peut s’empêcher d’être inquiète, malgré le recul du mal. Il la rassure, trouve les mots justes.

Marie, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler, par facilité, une soeur ; c’est une amie. Je peux l’appeler à n’importe quelle heure du jour, de la nuit. Elle répondra. Viendra. Nous nous connaissons depuis si longtemps. Journaliste comme moi, nous avons bossé ensemble. Ri ensemble. Vu passer la vie d’Urli. Elle ne m’a pas lâché à ce moment-là. — Elle a connu mes amours fugitifs. Mes peines. J’ai connu ses amours, moins fugitifs. Ses peines. Et c’est elle qui, un jour, m’a dit : Tu devrais aller voir Yass. Yass, qui me pousse à l’écriture. Me présente Sarah, qui écrit, qui a été publiée, qui est chargée d’une nouvelle collection. Sarah, qui veut me faire bosser. Sarah dont l’histoire est bouleversante et lumineuse. Sarah, femme battue, à l’origine de ce phénomène d’édition, 125 et des milliers, Sarah Barukh.

Alors, je mets tranquillement de l’eau dans la bouilloire ; la fait chauffer. Prépare le thé, un Darjeeling.
Il fume, là, à côté de l’écran. — Je comprends que je vais saisir la chance qui se présente.


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D’abord,

D’abord, bonjour à Emilia, dans la cour, cheveux lâchés, fumant la première cigarette. Son bonheur du moment. — Tout va bien ? — Tout va bien… Franchir la lourde porte cochère. Regard immédiat vers la droite, la percée du quai, les couleurs. Illico, le vert tendre des peupliers illuminés par le soleil ; un souffle de vent ; les feuilles rutilent. Le bleu ciel du ciel du jour me fait penser à ces peintures flamandes du XVIIe. La lenteur de marche d’Erri facilite la rêverie, le regard. Samedi, si tôt, pas de voitures, peu de passants ; l’inévitable coureur de fond est bien là. Il me donne l’impression d’être sur un tapis roulant sans fin. Pas envie de faire des photos. Juste regarder. — Nous remontons le quai Voltaire. La Frégate est encore fermée. Dans une heure elle sera blindée de touristes. La rue du Bac. Dans le reflet d’une vitrine, un autoportrait au pyjama japonais. Je pense à Sagan. J’évite la boulangerie, ses tentations matinales. Envie de rentrer, d’un café dans une tasse bleue. — Je pense. Je pense aux dernières conversations. Je pense à ce que m’a prédit Yass pour le boulot. Je pense à ce que je dois faire.

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