Catherine, l’amie, est arrivée énervée ce dimanche en fin de matinée pour un déjeuner boulettes – purée truffée, accompagnées d’un Brouilly assez puissant je dois dire, à mon étonnement. Ensuite, nous allons aux Bouffes du Nord. — Un voyage pour moi, qui semble enfin sortie de cette agoraphobie triste et nulle. Voir quoi ? — « RANGER » — écouter Jacques Weber dire le texte de Pascal Rambert.
Catherine : « Je viens de lire la critique du Monde sur ses deux pièces jouées aux Bouffes. Tout ce que je déteste cette critique. Même quand j’y ai bossé, c’était cette prétention. Pour les films c’est pareil… »
Moi, je ne veux pas connaître ce qu’en pense l’un ou l’autre. Je n’ai rien lu sur ses Trois Annonciations jouées à Chaillot. J’en étais sortie sonnée, éblouie.
Alors peu m’importe les mots des autres dans ce cas-là.
Le taxi est à l’heure. Nous partons. Le ciel de Paris est lumineux, on le voit défiler à travers le toit panoramique. Nous traversons une terra incognita pour moi, une terra pleine de couleurs, de saveurs, de piétons vêtus en multicolores, avant d’arriver enfin aux Bouffes.
J’y sens illico que là, on ne plaisante pas. C’est le vrai de vrai du théâtre. Pas les si jolis où Urli m’emmenait. La Cafétéria est un monde en soi. Une cour des miracles, intellectuelle ; c’est l’image qui me vient. — On nous installe. Nous sommes bien placées. Je me sens très bien, à l’aise, et regarde enfin ces fameux Bouffes. Oui, c’est beau. Plus que ça, c’est puissant. Rien de doux. Rien de dur. Rien d’ostentatoire. Juste le charme qui joue à plein. — Le décor blanc d’une chambre d’hôtel ultra-moderne est déjà planté là sur la scène.
Weber arrive. Sa présence. Les premiers pas. Les premiers gestes. Les premiers mots du personnage. Et là je comprends qu’il parle à sa femme, morte depuis un an. Et je m’identifie et je prends tout plein pot. Et j’ai envie de pleurer lorsqu’il lui dit que les larmes ne viennent pas. Qu’il n’a pas pleuré. — J’ai connu ça. Ce ne pas pouvoir. Cette émotion. Ne pas pouvoir pleurer. Rester figé dans la détresse. Je suis bouleversée.
L’ovation.
Nos différences avec Catherine. Elle : Quel acteur ! Moi : Quel texte ! — On a ri.
Le retour en taxi. Je dépose Catherine à République. Nous retrouvons un monde que je connais. Nous traversons le Louvre, les lumières jouent à plein. Le taxi me dépose à un croisement.
Je rentre, toujours aussi sonnée, sors Erri qui en a bien besoin. De nouveau à la maison, comme portée, j’ouvre le petit Mac rose et j’écris à Pascal Rambert.
Nous nous connaissons et nous ne nous connaissons pas. Twitter est le lien. J’ai tellement aimé cette image de lui traversant la rue Dauphine, il rentrait du pressing voisin, les bras chargés de vêtements dans leurs sacs en plastique. J’étais sur le trottoir opposé, promenant Erri. La circulation, permanente dans cette rue. Il m’a hélée : Anna ! a traversé la rue avec cette allure d’adolescent, ce naturel. Il veut juste me dire combien il aime mes photos de Paris. Je ne dis rien. Je le regarde. Je regarde cet homme sympathique au visage ouvert portant cette masse de vêtements dans leurs sacs en plastique. Il est étonné de cette non-réaction, gêné peut-être, se prépare à repartir. Je m’avance alors lentement, très lentement vers lui, ça je me rappelle bien, lui murmure : « Qui êtes-vous ?…… par deux fois. Il fait un signe, comme « ça n’a pas d’importance ». Et, au milieu de cette rue blindée, lance : Je m’appelle Pascal Rambert.
Dernièrement, un mot très bref pour préciser ses trois pièces jouées à Paris. M’en suis trouvée bien.
Je trouve ça simple, naturel. Je décide d’affronter l’agoraphobie. Y aller dans ces théâtres.
C’est alors que j’ai fait une erreur technique. Je n’étais pas en mesure de faire attention à cette foutue technique en écrivant à peine rentrée des Bouffes. Les mots me sont venus tels quels. Je les ai trouvés pas bons, lourds, j’ai cru les avoir effacés, en fait, ils étaient perdus au fond du fond du message et sont partis avec ceux qui me semblaient bons. L’étaient-ils ? J’ai suivi mon élan. La simplicité du silence ne m’a même pas effleurée. J’aime tellement écrire. — On va dire que j’ai pris là une belle leçon de discrétion et de technique. C’est vivant tout ça. Et c’est très bien.
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