cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Catégorie : Récit Page 1 of 26

L’ardeur

L’ardeur. Voilà un mot que j’aime.
Comme vivacité et tant d’autres de cet acabit. — D’accord, elle s’est éloignée de moi ces derniers temps.
Je ne lui en veux pas, il y a bien une raison, je la connais ; et ce ne serait pas raison d’ oublier son existence. Ses allers-retours de midinette. Sa patience, sa résistance. L’ardeur n’a rien à voir avec l’héroïsme, l’enthousiasme, mais je peux me tromper à penser cela. Elle donne l’élan, porte l’énergie, la vie s’anime dès qu’elle se pose dans l’coin. Elle sait travailler ; balayer les doutes devant sa porte.
Elle est inspirante. Patiente. Innovante. Je ne sais pas si elle a le premier rôle dans l’harmonie.
Peut-être.


***

Ce foutu côté coeur

Il est arrivé ce dimanche avec un bouquet de roi, annonciateur de printemps ; du mimosa, en veux-tu en voilà ! — Yass bien sûr, pour un déjeuner rapide. Rendez-vous professionnel. Evidemment nous avons ce plaisir aussi de nous retrouver de temps à autre sans parler boulot si je puis dire.
— Yass est médium. Attention, haut niveau… À chaque séance, son téléphone ne cesse de vibrer. On l’appelle de tout près ou de très loin. — Et Yass a cette gentillesse extrême de me supporter.
Il sait d’avance que je vais peut-être lui parler de quelque problème technique, d’une hésitation devant un choix, que l’essentiel reste ce foutu côté coeur. Il le sait.
Ce qu’il a pu me faire rire avec mes amourettes. — « Lui ? à fuir ! C’est un aspirateur de lumières ! »
Le côté technique évacué, nous entrons dans le privé.
Et là, je me régale. Et je prends tout. Et je garde tout.
Brillante est la façon dont il interprète les cartes. Sa mémoire, le lien qu’il fait avec les précédentes séances, est bluffante. Le puzzle amoureux commencé il y a quelques mois prendra-t-il tournure ?
Yass, qui, la dernière fois était extrêmement négatif quant à l’homme dont je lui parlais, qui me surprend depuis peu, me laisse sans voix, dont je ne connais rien de la vie privée, Yass constate qu’il y a bien, effectivement, cette réalité nouvelle, ce lien, des deux côtés, qui s’est resserré. Il n’est seulement pas sûr qu’il soit le bon, côté coeur. Amitié possible. — Avec le bon, il y a des livres autour de lui, et là, il ne les voit pas. Par contre, Yass voit nettement que cet homme traverse actuellement un drame personnel. — et comprend pourquoi il le si triste la dernière fois, d’où son sentiment négatif.
Et moi, je comprends son absence du moment.
Autrement, Yass voit toujours cette campagne, cette maison au bord de l’eau… et d’autres beautés.
Tout commencera-t-il à s’emboiter un jour ?
C’est ça qui est passionnant et doux.
*
« Pas de rêveries ! — Du travail ! » — dit-il en partant.

*

Banalités d’un matin,

En descendant avec Erri, qui se fiche totalement de l’air du temps et renifle déjà le mur d’en face, j’ai vu les pigeons postés sur leurs gouttières. Je sors des poches les morceaux de pain. Erri jette un oeil, il pourrait y avoir malgré tout quelque sucrerie. — J’évite d’écraser les premiers brins d’herbe poussant entre les interstices des pavés. Ils en prennent plein la tête avec ce vent. Ils tiennent.
Nous avançons. Tout est froid même le vent n’en peut plus d’être cinglant comme ça sur le quai. Quelques personnes, au sexe indéterminé, enveloppées dans des parkas, de longs manteaux, capuches relevées, entourées d’écharpes, avancent tant bien que mal vers le Pont RoyaL. La photo de ces silhouettes pourrait être sympathique en noir et blanc. De gros camions arrivant au niveau du feu rouge m’empêchent de la faire ; Erri aussi, m’entraînant vers un pneu. — Nous avançons. La Frégate est fermée pour travaux pendant quelques jours. Cette brasserie, qui ne m’inspire en rien, est d’ordinaire blindée de touristes du matin au soir. La rue du Bac voit son trafic entravé par de gros travaux de maintenance. Des camions, garés comme ils peuvent. Le bus 68 ne peut s’arrêter évidemment, des usagers descendent ; d’autres, montent. Quant à nous, nous avançons. La rue de Verneuil est balayée par les rafales. Nous la prenons. Le petit Proxi pas encore ouvert. Quelques passants. Quelques voitures. Je n’ai aucun regard pour les vitrines d’antiquaires. Nous traversons la rue de Lille, et rentrons. Emilia fume dans la cour la cigarette matinale. Son sourire et son bonjour.

***

Pas un livre pour faire joli.

J’étais convaincue que seuls Sollers, Handke ou Erri pouvaient me bouleverser avec leurs mots, remettre les compteurs à zéro. Je m’étais trompée, heureusement, en reprenant le chemin des théâtres, sonnée que je fus des mots de Rambert. Et donc, l’autre jour, l’air de rien, j’ai pris, comme ça, avec d’autres livres, Célidan disparu, de Denis Podalydès, me disant, il s’agit là des mémoires d’un théâtreux. — La belle innocence que voilà ! — Il y a belle lurette qu’un livre ne m’a autant réveillée.
Je ne vais pas mettre ici quelque extrait. Oui, il y a l’enfance, la famille, l’éducation versaillaise,
Oui, il y a les vacances au bord de la mer, les émois de l’adolescence, les mots inconnus dont on cherche le sens dans le gros dictionnaire, oui, le théâtre, inévitablement. — Et il y a LUI. On a envie de lui foutre des baffes tant il nous exaspère parfois ; l’attachement se fait justement là, d’un mot, d’une phrase, d’une attitude, d’une réaction. À aucun moment l’homme ne cherche à se rendre sympathique. — Et il y a, vers la fin du livre, cette déambulation nocturne dans Paris, qui m’a chamboulée. Pas pu parler pendant deux jours. Pas envie. Cette déambulation qui me fait écrire « Chapeau bas ! Chapeau bas ».

***

Bousculée,

Non, je ne veux rien savoir ce matin de l’état du monde.
Je veux faire ce lit défait,
ouvrir grand les fenêtres sur le frais du jour,
changer l’eau des tulipes dans leur vase vert,
reprendre un café, un biscuit sucré,
regarder les premières fleurs du jasmin,
voir se montrer les feuilles du rosier,
je veux du Mozart dans ma maison, dans la tête,
je veux écouter les ronflements d’Erri,
entendre les doigts taper mes bidules,
Je veux hésiter,
Je veux être étonnée,
Je veux être bousculée.

***

Les Bouffes du Nord, un voyage

Catherine, l’amie, est arrivée énervée ce dimanche en fin de matinée pour un déjeuner boulettes – purée truffée, accompagnées d’un Brouilly assez puissant je dois dire, à mon étonnement. Ensuite, nous allons aux Bouffes du Nord. — Un voyage pour moi, qui semble enfin sortie de cette agoraphobie triste et nulle. Voir quoi ? — « RANGER » — écouter Jacques Weber dire le texte de Pascal Rambert.
Catherine : « Je viens de lire la critique du Monde sur ses deux pièces jouées aux Bouffes. Tout ce que je déteste cette critique. Même quand j’y ai bossé, c’était cette prétention. Pour les films c’est pareil… »
Moi, je ne veux pas connaître ce qu’en pense l’un ou l’autre. Je n’ai rien lu sur ses Trois Annonciations jouées à Chaillot. J’en étais sortie sonnée, éblouie.
Alors peu m’importe les mots des autres dans ce cas-là.
Le taxi est à l’heure. Nous partons. Le ciel de Paris est lumineux, on le voit défiler à travers le toit panoramique. Nous traversons une terra incognita pour moi, une terra pleine de couleurs, de saveurs, de piétons vêtus en multicolores, avant d’arriver enfin aux Bouffes.
J’y sens illico que là, on ne plaisante pas. C’est le vrai de vrai du théâtre. Pas les si jolis où Urli m’emmenait. La Cafétéria est un monde en soi. Une cour des miracles, intellectuelle ; c’est l’image qui me vient. — On nous installe. Nous sommes bien placées. Je me sens très bien, à l’aise, et regarde enfin ces fameux Bouffes. Oui, c’est beau. Plus que ça, c’est puissant. Rien de doux. Rien de dur. Rien d’ostentatoire. Juste le charme qui joue à plein. — Le décor blanc d’une chambre d’hôtel ultra-moderne est déjà planté là sur la scène.
Weber arrive. Sa présence. Les premiers pas. Les premiers gestes. Les premiers mots du personnage. Et là je comprends qu’il parle à sa femme, morte depuis un an. Et je m’identifie et je prends tout plein pot. Et j’ai envie de pleurer lorsqu’il lui dit que les larmes ne viennent pas. Qu’il n’a pas pleuré. — J’ai connu ça. Ce ne pas pouvoir. Cette émotion. Ne pas pouvoir pleurer. Rester figé dans la détresse. Je suis bouleversée.
L’ovation.
Nos différences avec Catherine. Elle : Quel acteur ! Moi : Quel texte ! — On a ri.
Le retour en taxi. Je dépose Catherine à République. Nous retrouvons un monde que je connais. Nous traversons le Louvre, les lumières jouent à plein. Le taxi me dépose à un croisement.
Je rentre, toujours aussi sonnée, sors Erri qui en a bien besoin. De nouveau à la maison, comme portée, j’ouvre le petit Mac rose et j’écris à Pascal Rambert.
Nous nous connaissons et nous ne nous connaissons pas. Twitter est le lien. J’ai tellement aimé cette image de lui traversant la rue Dauphine, il rentrait du pressing voisin, les bras chargés de vêtements dans leurs sacs en plastique. J’étais sur le trottoir opposé, promenant Erri. La circulation, permanente dans cette rue. Il m’a hélée : Anna ! a traversé la rue avec cette allure d’adolescent, ce naturel. Il veut juste me dire combien il aime mes photos de Paris. Je ne dis rien. Je le regarde. Je regarde cet homme sympathique au visage ouvert portant cette masse de vêtements dans leurs sacs en plastique. Il est étonné de cette non-réaction, gêné peut-être, se prépare à repartir. Je m’avance alors lentement, très lentement vers lui, ça je me rappelle bien, lui murmure : « Qui êtes-vous ?…… par deux fois. Il fait un signe, comme « ça n’a pas d’importance ». Et, au milieu de cette rue blindée, lance : Je m’appelle Pascal Rambert.
Dernièrement, un mot très bref pour préciser ses trois pièces jouées à Paris. M’en suis trouvée bien.
Je trouve ça simple, naturel. Je décide d’affronter l’agoraphobie. Y aller dans ces théâtres.
C’est alors que j’ai fait une erreur technique. Je n’étais pas en mesure de faire attention à cette foutue technique en écrivant à peine rentrée des Bouffes. Les mots me sont venus tels quels. Je les ai trouvés pas bons, lourds, j’ai cru les avoir effacés, en fait, ils étaient perdus au fond du fond du message et sont partis avec ceux qui me semblaient bons. L’étaient-ils ? J’ai suivi mon élan. La simplicité du silence ne m’a même pas effleurée. J’aime tellement écrire. — On va dire que j’ai pris là une belle leçon de discrétion et de technique. C’est vivant tout ça. Et c’est très bien.

« / « 



Cet état de tous les possibles

Par ses transparences de bruns, d’orangés, de rouges, une brume matinale donnait, ce matin-là, une touche florentine à la Tour Saint-Jacques au loin, à la Seine, aux pierres blondes des ponts de Paris. — Quant à l’intérieur du corps, c’est simple, tout était bleu. Un débordement de bleu — cet état de tous les possibles, dirait l’ami Stendhal. Optimiste par nature, j’ai appris vaille que vaille à ne pas réfléchir sur ces débordements que je laisse agir comme ils veulent, parce que je les aime finalement mes débordements. J’ai saisi qu’ils donnent de la vie aux jours, évitent la tristesse et ses naufrages, l’abandon. Ils portent bien leur nom, leur reflux déposera immanquablement quelque engrais.
En attendant que tout cela pousse, je veille aux grains, si je puis dire. La maison sent bon le propre. La lumière commence à diffuser un air de printemps qui s’pointe. J’entends même un pigeon roucouler, pas bien loin d’ici…
Quant à la musique, elle accompagne l’histoire.
Il y a toujours une histoire.

°°°°°

La 4ème Annonciation

Un jean enfilé, calmement. Un pull à col roulé bleu marine enfilé, calmement. Boots enfilées, là, un sourire, j’ai pensé à Urli, qui aimait me voir porter des boots. Maquillage léger. Cheveux, comme ils voudront avec ce vent dehors. Le parfum, évident. Le manteau noir.
Une lumière restée allumée pour Erri. Une caresse, « Je reviens ».
La rue. Les quais. La foule. La montée vers Chaillot. Je suis si petite dans cette entrée majestueuse et froide. Un brin d’hésitation, un brin. Heureusement un adorable me demande ce que je cherche, il m’indique l’escalier menant à la salle où se joue la pièce. Je me suis cachée longtemps derrière cette agoraphobie pour dire non à presque tout. — Et là, j’ai dit Oui. Anne Commens, et sa psychologie symbolique ont fait le job. La simplicité se retrouve dans cette acceptation.
La salle est très agréable avec ses couleurs douces. On m’indique où m’asseoir. Fauteuil 315. Le quinzième fauteuil près de l’allée, au troisième rang, devant la scène, ouverte aux regards. Pas de rideau.
Je retire calmement le manteau noir. Un spectateur demande à s’installer près de moi, là est sa place. Mon sac tombe. Normal. Etre près de l’allée me va. Il y a l’espace de l’allée. Je ne me sens pas enfermée.

Les « 3 Annonciations » de Pascal Rambert commencent.
Je ne sais à quoi je m’attendais. Je n’y avais pas pensé je crois.
Immédiatement, je suis saisie par le texte. Violence de l’émotion. Les mots me captivent, j’aime les dire. J’aime les lire. Mais là, ce n’est pas un livre que je tiens, c’est un phénomène physique qui se révèle, une amplitude.
Les applaudissements… Je n’y participe pas.
Je suis sonnée.
À la sortie, devant le théâtre, le bruit de la circulation, de tous ces vendeurs de Tours Eiffel qui clignotent, la foule… Non, ai-je pensé —
Je veux rentrer.
Je prends le carnet. Le stylo plume. Ecrire.
Les mots se brouillent, se mélangent. Apparitions… Annonciations… Je n’arrive plus à me relire.
J’arrête.
Pascal Rambert écrit qu’il faut aller chercher la lumière.
La chercher.
En toute simplicité j’y vois alors une 4e Annonciation, personnelle, joyeuse.


-:-:-:-:-

Zigzags

Pensées en zigzags ce matin.
Du coq à l’âne… expression surannée, irremplaçable.
Ce n’est pas pour me déplaire.
La voisine espagnole du dessous déménage.
J’entends le bruit du scotch que l’on déchire pour entourer les cartons, les va et vient dans l’escalier ; pas d’énervement chez les déménageurs, ils gèrent.
Erri s’en fout de ce ramdam, il s’est endormi après le biscuit partagé avec lui.
La musique l’accompagne.
Les tristes, tristes nouvelles du monde, je les occulte à cette heure. Je ne veux pas ne pas connaître ; certains jours, il faut savoir choisir son moment.
Je laisse la place à la rêverie. Qu’elle me mène où elle veut… un geste de Laura prenant un gâteau, un regard d’Urli, un paysage d’Italie, pas Venise étonnamment, campagne romaine ou toscane, je ne saurais dire… Le visage d’un ancien amoureux. Quel charme il avait… Une promenade… Un tableau. Là, le Pierrot de Watteau, allez savoir pourquoi… Ne pas oublier de rappeler une amie pour dimanche.
Je lève les yeux de l’écran, un vent accompagne l’image, il fait bouger les tiges du jasmin, les feuilles du rosier. J’aime le présent. Absolument. Le son des doigts tapant sur les touches du petit ordi rose. C’est beau l’écriture. Je pense avec admiration à celle de Didier Blonde dont j’ai ouvert un nouveau livre hier soir, Autoportrait aux fantômes. Il met notamment en lumière une rue parisienne, une rue où habite Yass.
La réalité me rattrape.
Je regarde ma maison.
Un filet de poisson décongèle.
Je maintiens le cap.
*
La voisine du dessous donne le dernier tour de clé.
Et s’en va.

*




Un corps

Anticipant la demande extérieure, je me la suis posée à moi-même cette question : Alors, cette soirée ?
Et l’idée du corps m’est venu.
C’est quand même épatant un corps.
Il comprend ce qu’on lui demande. Il accepte. Il joue le jeu. Et le lendemain semble se relâcher déjà, tout en restant attentif aux éventuelles nouvelles attentes à venir. Car il le sent le corps, ça bouge tout en haut, dans la tête, comme un fluide qui nourrit tout le reste.

Merci pour hier soir mon corps….

*

Page 1 of 26

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén