cet air de rien

Anna Urli-Vernenghi

Catégorie : Récit

Un fruit qu’on n’a pas cueilli

Dans sa Nouvelle interprétation des rêves, Tobie Nathan explique qu’un rêve qui s’évanouit est comme un fruit qu’on n’a pas cueilli. Un rêve qui n’est pas interprété, comme une lettre qui n’a pas été lue.


Donc,
La fin d’un rêve en noir et blanc me réveille. Un rêve doux me semble-t-il. Je le note avant qu’il ne se dilue. — Nous sommes deux. Un amoureux et moi. Le jour va bientôt se lever. Je me sens bien, calme. J’ignore où nous sommes. Une maison peut-être. La pièce est-elle une chambre ? Je ne vois pas de lit. Malgré l’obscurité elle me semble grande cette pièce. Nos visages en plan serré. Le sien, tourné vers moi, caché par l’ombre. Les yeux qui brillent. La lumière est celle du petit matin. Je dois partir. Je ne vois pas d’au-revoir. Il n’y a cependant aucune tristesse dans ce moment. Je perçois ça. Je prends seule un taxi et m’endors dans la voiture, qui roule. — Arrivée à Nice, je vois alors la lumière du soleil, la mer. Un rien surprise de me retrouver là. Je dis calmement au chauffeur cette évidence : « Je suis bien trop loin…. »
et me réveille.
J’ai toujours aimé noter ces foutus rêves.
De bric et de broc, ils construisent une sorte de château baroque où il y ce plaisir d’enfant à se perdre.
— Comment lire celui-ci avant qu’il ne s’évanouisse….

***

L’abri

Colette écrit dans 3,6,9 (ses maisons et multiples déménagements) : Si un logis a rendu tout son suc, la simple prudence conseille de le laisser là. C’est un zeste, une écale… Plutôt repartir, courir l’aventure de rencontrer, enfin, l’abri qui n’épuise point : tous les périls sont moindres que celui de rester.

Il n’y avait pas péril immédiat à rester où j’étais. L’appartement était lumière, calme, les oiseaux venaient nombreux s’alimenter aux diverses boules accrochées là et là. Un matin, j’ai pourtant bien entendu cet appel me disant de partir pour chercher cet « abri qui n’épuise point ». — Pas par caprice, par vitalité.

Dans cette phrase de Colette, il y a ces mots : « l’aventure » « rencontre ». Trouver l’abri fut une aventure, une rencontre. Lorsque je monte l’escalier qui mène à l’appartement pour le visiter, un très chaud après-midi d’été, j’entre dans la voyance de Yass. « C’est petit, mais c’est chouette. Un trois pièces. La Seine est à côté. » — J’y ressens une énergie incroyable. J’ai rencontré l’abri.

La beauté a suivi avec cet appel inattendu de Philippe. « Anna, Stanislas me dit que vous déménagez. Je peux vous donner quelques conseils. » — Stanislas m’avait livré un dernier bouquet de roses. Je lui annonçais mon déménagement. Sa boutique jouxte celle de Philippe. Philippe, qui me connaît par coeur. Il m’a fait une maison à la campagne qui n’a rien de mièvre. Qui me donne une sérénité chaque matin ; et si parfois la tristesse cherche à pointer le bout de son nez, la maison est réactivité. L’énergie repart. — Peut-on dire d’une maison qu’elle est une amie ?

Mozart. — Don Giovanni …. Là, mi dirai di si…. Vedi, non è lontano.

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D’abord,

D’abord, bonjour à Emilia, dans la cour, cheveux lâchés, fumant la première cigarette. Son bonheur du moment. — Tout va bien ? — Tout va bien… Franchir la lourde porte cochère. Regard immédiat vers la droite, la percée du quai, les couleurs. Illico, le vert tendre des peupliers illuminés par le soleil ; un souffle de vent ; les feuilles rutilent. Le bleu ciel du ciel du jour me fait penser à ces peintures flamandes du XVIIe. La lenteur de marche d’Erri facilite la rêverie, le regard. Samedi, si tôt, pas de voitures, peu de passants ; l’inévitable coureur de fond est bien là. Il me donne l’impression d’être sur un tapis roulant sans fin. Pas envie de faire des photos. Juste regarder. — Nous remontons le quai Voltaire. La Frégate est encore fermée. Dans une heure elle sera blindée de touristes. La rue du Bac. Dans le reflet d’une vitrine, un autoportrait au pyjama japonais. Je pense à Sagan. J’évite la boulangerie, ses tentations matinales. Envie de rentrer, d’un café dans une tasse bleue. — Je pense. Je pense aux dernières conversations. Je pense à ce que m’a prédit Yass pour le boulot. Je pense à ce que je dois faire.

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